Tristan Cabello (Johns Hopkins University) : « La grille de lecture des médias européens entre démocrates et républicains repose sur une distinction largement artificielle »

Le professeur Cabello, fondateur de la newsletter The Hype, estime que les universités, visées notamment par Trump, doivent rester des lieux de remise en cause et de questionnement du système dominant. Entretien.

21News : Pourriez-vous nous éclairer sur vos impressions, en tant que professeur d’université aux États-Unis, sur la façon dont Donald Trump semble s’attaquer à un certain « progressisme idéologique » au sein des universités américaines ? Avez-vous eu, vous-même, à souffrir d’un certain climat rendu délétère par des décisions de l’administration ?

Tristan Cabello : Ce que Trump désigne comme « progressisme idéologique » dans les universités américaines renvoie, dans les faits, à la présence d’approches critiques issues des sciences sociales : études sur les inégalités raciales, analyses féministes, lectures structurelles du capitalisme. C’est le rôle même de l’université de permettre ce type de questionnement. L’insistance sur une prétendue idéologisation dissimule souvent un rejet de la remise en cause des hiérarchies sociales établies. Quand on mobilise tous les ressorts de la suprématie blanche, du capitalisme dérégulé, de la xénophobie et de la masculinité autoritaire, on a évidemment intérêt à faire taire celles et ceux qui déconstruisent ces récits. Sous Trump, cette rhétorique s’est accompagnée de mesures concrètes : censures, retraits de financements, campagnes de stigmatisation ciblées contre des enseignants et disciplines entières.

Cela dit, il serait erroné de réduire ce climat à une seule orientation politique. L’administration Biden/Harris n’a pas manifesté une hostilité aussi spectaculaire, mais elle n’a pas non plus garanti un soutien solide à l’enseignement supérieur comme espace de pensée critique. On ne peut ignorer que c’est bien sous un gouvernement démocrate qu’un char blindé a été envoyé face aux étudiants propalestiniens de Columbia. Et plus généralement, la précarisation du corps enseignant, la marchandisation de la recherche et l’absence de réponse face aux pressions idéologiques signalent un affaiblissement profond de la mission émancipatrice de l’université, quel que soit le pouvoir en place.

21News : Pouvez-vous partager avec nous vos positions sur la manière dont l’actualité américaine est analysée par les médias européens ? Y a-t-il, d’une manière généralisée, une sorte de parti-pris en faveur d’un camp plutôt que d’un autre ?

T.C. : La couverture médiatique européenne repose souvent sur une dichotomie commode : les démocrates incarneraient la modération et le respect des normes, tandis que les trumpistes représenteraient la menace autoritaire. Cette grille de lecture masque les continuités profondes entre les deux camps sur des sujets structurants — sécurité, commerce, politique étrangère, régulation économique. Elle repose surtout sur une distinction largement artificielle, que peu d’Américains reconnaissent comme pertinente dans leur expérience politique concrète.