« Ceux qui ont ouvert la boîte de pandore en assimilant le MR à l’extrême droite ou au fascisme se sont inscrits dans une nouvelle logique politique, celle du « eux et nous », celle où il n’y a pas de milieu (…). C’est de façon indubitable la logique stalinienne ! » Une chronique de Merry Hermanus.
Je prie le lecteur de bien vouloir m’excuser, mais je suis contraint de faire une petite mise au point. Deux ou trois internautes m’ont demandé pourquoi je publiais dans 21News au lieu de publier dans des médias plus marqués à gauche. Deux ou trois, ce n’est pas beaucoup au regard de mes lecteurs. J’estime cependant qu’il est nécessaire d’être clair.
D’abord, précision utile : je ne suis pas rémunéré. Je suis une contribution externe et la rédaction ne m’a jamais imposé quoi que ce soit, n’a jamais modifié une ligne, un mot, ne m’a jamais rien imposé. Je suis de gauche depuis des décennies et tout le monde le sait. Je suis pour le dialogue, pour les ponts entre clivages différents, pour le débat. Il me semble donc plus qu’utile que des personnes de gauche publient dans des quotidiens qui ne rassemblent pas uniquement leurs affiliés, et que des gens de droite soient aussi reçus par des quotidiens qui ne rassemblent pas uniquement leurs affiliés. C’est cela, le rôle d’un média, d’une publication et du débat intellectuel.
Il me semble qu’aujourd’hui, c’est plus la droite qui facilite le dialogue que la gauche. Est-il, par exemple, normal que Marc Uyttendaele soit aujourd’hui plus facilement invité par des élus du MR que par ceux du PS ou du PTB ? Est-il normal que des gens de la gauche modérée en France soient mieux traités en France par des médias comme Le Figaro-Le Point que par Libération ? La gauche n’a aucun intérêt à rester recroquevillée sur elle-même ou à dresser des frontières étanches avec le reste du monde. Ce n’est pas cela, faire société. Et ce n’est pas ainsi que la gauche va gagner le moindre électeur — bien au contraire.
Antisémitisme et appel à la violence
Ce qui vient de se passer à Liège, où des membres du MR ont été insultés, malmenés, battus, conspués (photo), ouvre manifestement une nouvelle ère dans le débat politique en Belgique. Circonstance lourdement aggravante : cette cérémonie devait rendre hommage à Jean Gol, décédé il y a 30 ans, et dont le jour même la sépulture a été vandalisée, recouverte de tags antisémites.
Ces circonstances ne sont pas anodines. S’agissant d’une tombe, on touche au sacré, au respect que l’Homme porte aux défunts depuis 30.000 ans, si j’en crois la datation établie par les paléontologues.
Je me souviens que, dans les années 80, à Carpentras, la tombe d’un Juif et le corps exhumé de celui-ci avaient été profanés de façon abjecte. J’avais organisé une importante cérémonie d’hommage dans le cimetière de ma commune, de nombreuses personnalités – ministres, parlementaires –, furent présentes. La peur d’être jugées sur Gaza ne les tétanisait pas à cette époque !
D’inquiétants éléments de langage
Il me paraît donc impossible de ne pas lier l’odieuse dépravation de la tombe de Jean Gol et la manifestation de la place du 20 août à Liège. La concordance dans le temps et les slogans, les cris, les vociférations entendus vont de toute évidence dans le même sens. La Justice devra, je l’espère, faire le tri et conduire les coupables devant un tribunal.
Au cœur des hurlements, on a pu entendre distinctement « MR fasciste – MR extrême droite ». Le tout agrémenté de drapeaux palestiniens, cela va de soi, c’est tendance…
Ces invectives me semblent la conséquence directe d’éléments de langage que le PS diffuse depuis qu’il a perdu les élections en Wallonie. Il me paraît clair que les militants, les élus, sont incités à accoler constamment les termes « MR-extrême droite-fasciste », sorte de mantra imposé. C’est une technique bien connue en communication où le nom d’un produit doit, dans l’inconscient du consommateur, être immédiatement associé à un goût, un comportement, une valeur. Tous les experts ont étudié l’évolution de cette association pour Coca-Cola qui, au fil du temps, a fait évoluer son image en modifiant l’automatisme qu’elle suggérait dans l’esprit du consommateur potentiel.
C’est exactement la même chose en politique. Les éléments de langage ont pour but d’associer immédiatement, dans le subconscient du citoyen, la connexité entre le MR, l’extrême droite ou le fascisme. Cela doit coller au cerveau comme le sparadrap colle aux doigts du capitaine Haddock.
Le fascisme, c’est quoi ?
Je considère que ceux qui se sont inscrits dans cette démarche ont pris une énorme responsabilité.
On doit d’abord noter que, si on affuble le MR du qualificatif de fasciste, c’est qu’on ne sait pas ce qu’est le fascisme. Une fois de plus, on ne peut que constater que l’école a failli. L’histoire du fascisme est parfaitement documentée, ses germes sont dans les écrits et la geste du poète nationaliste italien d’Annunzio, dont Mussolini agencera l’organisation et la conceptualisation qui serviront de modèle à un petit agitateur autrichien et moustachu, qui créera le nazisme.
Franchement, y a-t-il quoi que ce soit dans le MR qui puisse conduire à penser que cette formation, qui n’est pas et ne sera jamais la mienne, soit fasciste, soit d’extrême droite ? Les libertés en Belgique sont-elles menacées par les libéraux ? Ceux qui crient stupidement ces affirmations devraient se souvenir qu’il y a eu, en Belgique, un mouvement fasciste important. C’était le rexisme de Degrelle. Mais cela aussi, les hurleurs de carrefour, qui frappent et bousculent dans le dos, qui envoient des fruits et des tomates pourries, ne le savent pas. Ce ne sont que de pauvres décérébrés ignorants qui, demain, si par un horrible cataclysme, la Belgique devenait vraiment fasciste, s’époumoneraient pour applaudir le leader charismatique qui les aura envoûtés. Ces bandes sont toujours composées de ceux qui basculent le plus vite, qui passent, en un instant, de la constipation à la diarrhée. Ce n’est pas dans leurs rangs, je vous l’assure – l’histoire des années 30 le démontre –, qu’on trouverait les résistants de demain.
Cet élément de langage, cet automatisme infamant, provoque une polarisation, une cristallisation, et conduit immanquablement à l’irruption de la violence aveugle et imbécile dans le débat politique belge.
La Belgique, une démocratie ?
Notre pays a souvent été montré en exemple pour sa bonhomie et sa placidité. Trotsky a écrit que la Belgique était un « pantofelland ». Était-ce un défaut ? Bien sûr au cours des années 30, communistes et socialistes affrontaient physiquement les bandes rexistes. Mais lorsqu’en 1937, un an après sa formidable victoire électorale où Rex faisait élire 21 députés, Degrelle lui-même se présentera à Bruxelles où il fut opposé à Van Zeeland, Premier ministre. Tous les partis, y compris les communistes, firent bloc autour de Van Zeeland et Degrelle fut battu. La démocratie avait gagné.
Il y eut bien sûr des violences lors de la Question royale, lors des grandes grèves de 60-61 contre la loi Unique mais, dans le débat politique proprement dit, la violence n’eut jamais sa place en Belgique.
La très longue question linguistique fit un mort, le militant FDF Jacques Georgin qui, en 1970, périt sous les coups d’un nationaliste flamand. Parlant de notre contentieux linguistique avec des amis français, je leur fais chaque fois la remarque que, chez nous, personne ne pose des bombes, alors que c’est si souvent le cas en Corse.
Bien sûr, il y eut l’assassinat de Julien Lahaut, lié à la Question royale, sur lequel aujourd’hui quasi toute la lumière est faite. Et en 1991, l’assassinat d’André Cools sur lequel les zones d’ombres occultent encore la vérité.
Les faits que je viens de rappeler sont évidemment gravissimes, mais de façon générale l’ensemble du monde politique belge a depuis 1945 exclu tout recours à la violence. Chaque parti adhérait tacitement au contrat social, mais parfaitement respecté, le débat politique se devait de rester dans l’arc démocratique, la violence n’y avait pas sa place.
Importer un conflit, polariser le débat, rendre tout dialogue impossible
Or, certains, important en Belgique la problématique palestinienne, ouvrent la porte à de nouvelles méthodes. En un mot comme en cent, recourent à la violence. Les évènements de la place du 20 août à Liège le démontrent. Les manifestants arboraient de nombreux drapeaux palestiniens.
Pour ma part, alors que je suis la politique belge depuis des décennies, je n’ai pas le souvenir qu’un parti démocratique ait été empêché de se réunir pour commémorer le décès de l’un de ses grands hommes d’État ou d’ailleurs pour n’importe quelle raison. Jamais je ne l’ai vu.
De petites réactions qui éclairent tout d’un jour cru
Dans la vie politique comme dans la vie en général, de petits faits, de petites réactions donnent le « la » d’une situation, l’éclairent et en donnent la signification profonde. Dans l’affaire des évènements de Liège, c’est Mme S. Schlitz, qui par sa réaction stupide, donne la signification profonde de l’événement. Elle considéra qu’il était comique qu’un élu, en l’occurrence Georges-Louis Bouchez, soit contraint de passer par une fenêtre pour entrer dans la salle où se tenait la conférence, ajoutant « il fallait pas chercher les Liégeois ». On peut se demander en quoi l’organisation de cet hommage « venait chercher les Liégeois » … Mais bon, comme l’écrit magnifiquement Simon Leys, « les idiots disent des idioties comme les pommiers produisent des pommes ».
Y a-t-il un marqueur plus précis de la dépravation du débat politique ? Trouver comique, qu’un élu d’une formation démocratique soit contraint de passer par une fenêtre démontre que cette élue écolo, qui s’est illustrée lorsqu’elle était secrétaire d’État en nommant une femme voilée à la Présidence de la commission pour l’égalité Homme/femme, ne respecte plus la démocratie. Et qu’elle en a perdu – si par extraordinaire elle les a possédés un jour –, le sens et les valeurs. Ce que je crains, c’est qu’elle ne soit pas, et de loin, la seule.
Une fois le dentifrice hors du tube, impossible de l’y faire rentrer
Ceux qui ont ouvert la boîte de pandore en assimilant le MR à l’extrême droite ou au fascisme se sont inscrits dans une nouvelle logique politique, celle du « eux et nous », celle où il n’y a pas de milieu, celle où vous êtes entièrement avec nous, où vous acceptez tout, ou bien vous êtes un ennemi qu’il faut abattre. C’est de façon indubitable la logique stalinienne ! Est-ce cela « l’horizon indépassable » des propriétaires actuels du label PS en Wallonie et à Bruxelles ? Est-ce un climat de guerre civile, que l’on veut importer en Belgique à l’ombre d’une forêt de drapeaux palestiniens ?
Je le répète, et c’est un vieux social-démocrate, attaché à jamais à nos valeurs universelles, qui l’écrit : ceux qui nous entraînent sur cette voie ont aujourd’hui la responsabilité des coups de poing donnés à Liège aux participants à l’hommage à Jean Gol… Aujourd’hui des coups, mais demain ? Je n’en doute pas : ils auront, s’ils persistent dans cette voie, du sang sur les mains !
Merry Hermanus, chroniqueur
(Photo Belga : Natacha Freisen)