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IA : le bug n’est pas dans le code, mais dans le comité de direction (Chronique)

par Stéphane Peeters

L’échec massif de l’IA, qui voit 95% des entreprises perdre de l’argent malgré des investissements de plusieurs dizaines de milliards dans l’intelligence artificielle générative, n’est pas un défaut de la technologie, mais un reflet de nos propres limites de pensée. Ce n’est pas l’IA qui souffre d’un problème de raisonnement ; c’est le management. Deux études majeures de 2025 le confirment : le blocage n’est pas dans le code, il est dans le comité de direction.​

Une chronique de Stéphane Peeters, Fondateur de la Captain IA Academy+

Un rapport du MIT a mis le feu aux poudres : près de 95 % des initiatives IA n’offrent aucun retour sur investissement tangible. Ce n’est pas une anomalie, c’est une norme.

Un constat corroboré par le dernier rapport de McKinsey. L’étude, menée sur près de 1 500 organisations, révèle que 80 % d’entre elles ne voient aucun impact financier significatif de l’IA générative. Pire : si 71 % l’utilisent, seul un misérable pourcent qualifie ses déploiements de « matures ». Nous sommes face à un océan de POCs (Proof of Concept) pour une goutte de ROI.

Même le cas d’école Microsoft Copilot illustre ce drame. Vendu comme un assistant « plug-and-play », son efficacité réelle ne dépend pas de sa puissance, mais de la capacité des équipes à réinventer leurs méthodes de travail. Sans formation et sans stratégie, l’outil devient un gadget coûteux.

Le chercheur Andrew McAfee du MIT Sloan résume la situation avec une clarté lapidaire :

« La puissance technologique brute de l’IA est extraordinaire, mais ce n’est pas elle qui déterminera la vitesse à laquelle l’économie sera transformée. »

La technologie est prête. Ce sont les organisations qui ne le sont pas.

La fascination prime sur la fonction

Le problème n’est pas technologique, il est culturel et managérial. L’échec de l’IA n’est pas une fatalité technique, mais la manifestation d’un mal plus profond et répandu en entreprise : une attirance excessive pour la technologie elle-même, au détriment de sa finalité et de ses applications concrètes.

Trop souvent, nous achetons des solutions sans avoir clairement défini le problème à résoudre. L’acquisition de licences s’apparente à une collection de trophées, le lancement de chatbots vise à impressionner les actionnaires, et le déploiement d’algorithmes se fait sans aucune vérification de la qualité des données qui les alimentent.

Pourtant, les questions fondamentales restent sans réponse :

  • Les équipes ont-elles été formées ?
  • Avons-nous pris le temps de comprendre les processus métier à optimiser ?
  • Avons-nous anticipé les résistances humaines et les biais cognitifs inhérents ?

La réponse est un « non » retentissant. Le déploiement de l’IA n’est, dans ces cas, qu’un simple acte de foi technologique, et non un véritable projet d’entreprise stratégique et réfléchi.

L’abdication du management

Je le vois chaque semaine dans les comités de direction. Des dirigeants achètent des IA comme des gadgets, convaincus que des abonnements mensuels remplaceront une stratégie de déploiement. Ils parlent de prompts et de LLM, mais ignorent tout des workflows de leurs propres collaborateurs.

Ce « bricolage technologique » généralisé est une faute de gouvernance. Il crée une illusion d’innovation tout en générant de la dette technique et de la frustration humaine. On confie les clés de la transformation à des outils, en espérant qu’ils trouvent la serrure et la porte tout seuls.

C’est une abdication du rôle premier du dirigeant : donner une vision, un cap, et les moyens d’y parvenir. L’IA n’est pas une solution miracle, c’est un amplificateur. Elle amplifie l’intelligence des processus bien conçus, tout comme elle amplifie la bêtise des organisations dysfonctionnelles.

Nous avons besoin d’une gouvernance numérique éclairée, pas d’une course à l’armement algorithmique.

L’urgence d’une stratégie humaine

L’échec n’est pas une fatalité. C’est un coût d’apprentissage que nous pouvons réduire drastiquement en inversant la logique. Cessez d’acheter de l’IA. Commencez par investir dans l’intelligence humaine qui saura la piloter.

La seule méthode viable est une approche stratégique centrée sur l’humain et les processus.

Voici les étapes non négociables :

  1. Diagnostic de maturité IA : Où en êtes-vous réellement ? Évaluer les compétences, la qualité des données et la culture d’entreprise.
  2. Analyse des workflows : Identifier les vrais points de friction et les processus à faible et forte valeur ajoutée. C’est là que l’IA peut servir.
  3. Identification des leviers à fort impact : Cibler 2 ou 3 cas d’usage où le gain est mesurable et rapide, pour créer de l’adhésion.
  4. Plan stratégique et formation : Déployer la technologie après avoir défini les objectifs, les KPIs et formé les équipes qui l’utiliseront.

Depuis la nuit des temps, ce n’est pas l’outil qui fait l’artisan.

L’IA ne déroge pas à cette règle fondamentale. En externalisant la tâche, nous avons cru pouvoir externaliser la pensée, l’effort, la stratégie. C’est cette confusion qui mène 95 % des projets à l’échec. Nous voulions une machine qui pense, et nous avons oublié de le faire nous-mêmes.

L’intelligence artificielle est le test ultime de notre propre intelligence. Pour l’instant, nous sommes en train de le rater. Mais l’échec n’est pas une fatalité : il est encore temps de reprendre le contrôle.

Stéphane Peeters, Fondateur Captain IA Academy+

(Photo : Richard Mouillaud / S.P.)

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