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La Commission européenne veut taxer le sucre, le gras et le sel dans les aliments transformés

par Maxence Dozin

Le commissaire européen à la Santé, Olivér Várhelyi, a indiqué jeudi qu’il était favorable à la taxation des aliments riches en sucre, en graisses et en sel. Officiellement pour promouvoir la santé publique. La Commission prépare dans ce cadre un « plan de santé cardiovasculaire ». En réalité, tout le projet de taxes sur le sucre, les graisses et le sel est déjà prêt et devrait être présenté d’ici la fin de l’année.

Ces déclarations ont été faites jeudi en commission du Parlement européen. Várhelyi y a défendu un système fiscal visant les « processed foods », c’est-à-dire les aliments transformés. Concrètement, cela revient à taxer presque tout ce qui se trouve en rayon dans un supermarché.

Depuis un certain temps, on soupçonnait déjà la Commission de travailler en secret sur ce type de taxation. Désormais, les pièces du puzzle s’assemblent. Lorsqu’un eurodéputé libéral, Vlad Voiculescu, a donné son avis sur les aliments transformés et une taxe sur le sucre sous forme de question, le commissaire a acquiescé, allant même plus loin en affirmant que « c’est un point sur lequel nous devons nous arrêter » dans le cadre du plan cardiovasculaire de la Commission. Ce plan sera présenté dans les prochaines semaines.

« Nous avons besoin d’un bon instrument de mesure. Nous avons déjà eu ces débats et, en général, ils finissent toujours en discussions idéologiques sur le fait de priver les gens de leur liberté de choix ou d’imposer des contraintes à l’industrie alimentaire. Alors que l’objectif devrait être la protection de la santé publique », a déclaré Várhelyi.

Une fiscalité calquée sur le modèle du tabac

Comme pour le tabac, l’idée est de faire payer davantage les consommateurs qui mangent de manière malsaine, au motif qu’ils sollicitent plus le système de santé. « Il ne s’agit pas de limiter la possibilité d’acheter des produits, mais nous pouvons influencer ces choix et nous pensons que c’est ce que nous devons faire », a ajouté le commissaire hongrois.

Reste que Várhelyi est juriste de formation. Dans la Commission précédente, il était en charge du voisinage, distribuant des fonds aux pays méditerranéens et candidats à l’adhésion. Aujourd’hui, il se retrouve à piloter la santé et le bien-être animal.

Problème : la santé publique n’est pas une compétence de la Commission européenne. Elle relève exclusivement des États membres. Bruxelles invoque toutefois des « compétences complémentaires », par exemple pour moderniser les systèmes de santé ou faciliter la coopération en cas de pandémie. D’où la création d’agences comme l’EMA (médicaments) et l’ECDC (prévention des maladies).

De la même façon, la Commission s’est arrogée la sécurité alimentaire grâce au cadre législatif « de la ferme à la table » et au rôle de l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments).

Des recettes affectées à la santé publique

Selon Várhelyi, les recettes des taxes sur le sucre, le gras et le sel devront être réinvesties dans la santé publique, et non pour combler des trous budgétaires. La Commission songe déjà à canaliser ces fonds via son programme EU4Health, lancé en 2021 et profondément revu en juillet 2025. Cette réglementation européenne, d’application directe, donne à Bruxelles une large marge d’action dans cinq domaines clés :

  • Promotion de la santé et prévention des maladies, notamment du cancer ;
  • Prévention et réaction face aux menaces sanitaires transfrontalières ;
  • Amélioration de l’accès aux médicaments et dispositifs médicaux ;
  • Développement des données et outils numériques en santé ;
  • Élaboration et mise en œuvre de législations et politiques de santé fondées sur des données probantes.

Depuis l’été, les étapes s’enchaînent rapidement : refonte de l’EU4Health en juillet, appel à contributions pour le plan cardiovasculaire en août, et en septembre, un commissaire qui évoque ouvertement de nouvelles taxes sur la charcuterie, le chocolat, le fromage, les yaourts, biscuits et autres produits riches en sucre ou sel.

Une orchestration par les lobbies

La Commission a clôturé le 15 septembre sa consultation publique sur la santé cardiovasculaire. Mais derrière cette « call for evidence », ce sont surtout les lobbies qui se sont mobilisés. Au premier rang : European Heart Network, à l’origine de nombreuses statistiques reprises par la Commission, et qui a même créé un groupe d’eurodéputés dédié, le MEP Cardiovascular Health Group. Le Roumain Vlad Voiculescu en fait partie, ainsi que le Belge Pascal Arimont (CDH, Est de la Belgique).

Derrière eux, d’autres associations comme Safe Food Advocacy ou la EU Food Policy Association mènent campagne contre les pesticides, la viande et les aliments transformés. Ces réseaux comptent aussi des ONG écologistes, climatiques et même l’Open Society European Policy Institute financé par George Soros.

En réaction, l’industrie agroalimentaire a lancé son propre lobbying à travers trois réseaux bruxellois : FoodDrinkEurope (avec Mars et Cargill), l’European Alliance for Plant-based Foods (soutenue par Nestlé) et l’European Food Forum (ex-eurodéputés de divers partis).

Cas particulier : EuroHealthNet, qui regroupe des agences publiques nationales comme le Vlaams Instituut Gezond Leven, l’Agence wallonne pour une vie de qualité ou le RIVM néerlandais. Cette organisation reçoit plus de 1,5 million d’euros de subventions européennes, soit l’essentiel de son budget, pour… faire du lobbying auprès des institutions européennes.

La Commission estime que les maladies cardiovasculaires causent 1,7 million de décès par an dans l’UE, entraînant des retraites anticipées, de l’absentéisme et une baisse de la productivité. Les coûts sont évalués à 280 milliards d’euros par an, plus que les 210 milliards avancés par European Heart Network.

Tout laisse penser que la Commission européenne a bel et bien un plan prêt pour instaurer des taxes sur les aliments transformés. Qu’elle souhaite gérer elle-même l’affectation de ces nouvelles recettes. Et que fonctionnaires et lobbies travaillent depuis longtemps déjà à mettre ce système en place.

Lode Goukens

(©PHOTOPQR/VOIX DU NORD/LUDOVIC)

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