Les réseaux sociaux permettent souvent de découvrir en avant-première des informations ou des textes d’auteurs. Le journaliste Jean Quatremer a relayé un texte intéressant d’un ancien pilote de l’armée de l’air britannique, aujourd’hui chercheur sur le Proche-Orient, Andrew Fox. Nous le reproduisons ici en intégralité, il a été très amplement partagé sur les réseaux sociaux et porte à la réflexion.
« La guerre de Gaza, aussi dévastatrice soit-elle en elle-même, a révélé quelque chose de plus profond et de plus inquiétant que la tragédie immédiate au Moyen-Orient : elle a mis à nu le déclin intérieur de l’Occident — la domination de la pensée postmoderne, l’échec de l’intégration, la tolérance envers les haines importées et une inquiétante vulnérabilité à la désinformation financée de l’étranger. Ce qui avait commencé comme un conflit lointain s’est rapidement transformé en chaos dans nos rues, nos universités, nos institutions. L’antisémitisme explose. L’extrémisme prospère. Et derrière tout cela, l’exploitation de nos libertés par ceux qui cherchent à nous détruire de l’intérieur.
L’érosion de la clarté morale au sein des institutions occidentales, révélée par la guerre de Gaza, trouve ses racines dans le déclin intellectuel engendré par la pensée postmoderne. Au cœur de cette crise se trouve un glissement de la vérité objective vers l’idéologie subjective, où les faits sont subordonnés aux émotions, et où le jugement moral est remplacé par une hiérarchie des victimisations perçues.
Le postmodernisme, apparu au milieu du XXe siècle, remet en question l’idée même de vérité objective. Il soutient que toute connaissance est socialement construite, que les rapports de pouvoir influencent tous les récits, et que les valeurs universelles ne sont que des outils d’oppression. Dans cette vision du monde, il n’y a ni héros ni bourreaux, seulement des perspectives concurrentes.
Appliqué à un conflit aussi moralement tranché que celui opposant Israël au Hamas, le postmodernisme exige une fausse équivalence. On en arrive alors à une inversion grotesque de la réalité : un groupe terroriste qui viole, décapite et enlève des civils est présenté comme un mouvement de résistance légitime, tandis que l’État démocratique qui se défend est accusé de génocide.
Le décompte des morts à Gaza illustre parfaitement ce phénomène. Au lieu d’analyser simplement les données disponibles, tout un secteur universitaire s’emploie à “prouver” que le bilan est plus lourd, simplement parce que leurs émotions leur disent que cela devrait être le cas. On voit ainsi proliférer des rapports académiques méthodologiquement douteux, destinés à gonfler artificiellement le nombre de victimes sur la base de recherches bancales menées pour confirmer à l’avance des conclusions idéologiques. Les médias s’en font l’écho, et de fausses données inondent l’espace public.
C’est le symptôme d’un effondrement intellectuel dans le monde universitaire occidental. Les campus, imprégnés d’idéologie postmoderne, n’enseignent plus aux étudiants à penser, mais à ressentir. La pensée critique, jadis fondement même de l’éducation libérale, a été remplacée par la théorie critique, qui interprète chaque enjeu uniquement à travers les prismes de la race, du pouvoir et de l’oppression. La vérité ne dépend plus de la logique ou des preuves, mais de celui qui revendique la plus grande souffrance. Dans ce paradigme, les Juifs sont recodés en oppresseurs simplement parce qu’Israël existe et réussit — malgré leur histoire de persécutions et leur statut de minorité.
Ce mode de pensée a donné naissance à des foules universitaires scandant “intifada” et “mondialiser la résistance” sans comprendre — ou sans se soucier — de ce que ces slogans impliquent. Il nourrit les journalistes qui insistent pour que le “contexte” justifie les atrocités, et les ONG qui répètent mécaniquement les bilans fournis par le Hamas sans la moindre critique de source. Le postmodernisme a sapé nos défenses épistémologiques : notre capacité à distinguer la vérité de la propagande, la justice de la barbarie.
Il a aussi corrompu notre vocabulaire moral. Des termes comme “génocide”, “colonialisme” ou “apartheid” ne sont plus utilisés comme concepts juridiques ou historiques sérieux, mais comme armes rhétoriques pour attaquer l’Occident et défendre ses ennemis. Comme pour les études sur les bilans, ces étiquettes ne sont pas destinées à être prouvées : elles doivent simplement sembler vraies — surtout si elles sont prononcées par une personne ayant la bonne identité ou posture idéologique.
Voilà pourquoi les faits ne comptent plus. Le Hamas peut diffuser une vidéo de propagande qui se propage plus vite que toute réfutation de Tsahal. Le viol et le massacre de civils israéliens sont minimisés, tandis que l’accusation de “réaction disproportionnée” devient l’histoire dominante. Dans une culture postmoderne, l’émotion l’emporte souvent sur les preuves. Le récit est tout, et s’il sert l’agenda idéologique, il devient sacré et intouchable.
Le résultat final : une culture désarmée face au mal. Lorsque la morale est définie uniquement par le pouvoir, les victimes qui en détiennent une quelconque forme (Juifs, Israël, l’Occident) sont recodées en bourreaux.
Tel est le fond de l’affaire : il ne s’agit pas seulement d’une attaque contre Israël. C’est une attaque contre l’Occident.
Et elle a été amplifiée par le multiculturalisme, mis en œuvre sans exigence de valeurs communes. On voit aujourd’hui l’Occident colonisé par des communautés parallèles où des idéologies anti-occidentales et antisémites ont prospéré durant des décennies avant d’exploser à la faveur de l’étincelle de Gaza. L’immigration de masse sans assimilation réelle a créé des sociétés fracturées, malheureuses des deux côtés du débat. Cette semaine encore, nous avons vu des manifestations anti-immigration violentes et honteuses en Espagne, en Grande-Bretagne, en Pologne et en Irlande. Nos sociétés sont fragmentées, ce qui rend toute réponse à une attaque contre les valeurs occidentales impossible, puisque ces valeurs ne sont plus partagées.
Nulle part cette confusion morale n’a été plus flagrante que sur les campus américains. Les universités, autrefois fières d’être des foyers de liberté intellectuelle, sont devenues des foyers de haine. À Harvard, Columbia, Cornell, des étudiants ont célébré les atrocités du Hamas, rejetant la faute du massacre du 7 octobre sur Israël. Les administrations, terrifiées à l’idée de froisser les activistes, ont répondu avec lâcheté. La frontière entre protestation et sympathie pour le terrorisme s’est effacée, et les étudiants juifs ont été abandonnés.
Ce n’est pas un hasard. Pendant des décennies, les opérations d’influence soviétiques ont propagé les idées postmodernes chez leurs compagnons de route dans les milieux académiques de gauche. Aujourd’hui encore, la propagande russe exploite et aggrave les fractures de nos sociétés. La corruption est aussi financière : des milliards qataris ont inondé les universités occidentales, finançant des alliés idéologiques sur les campus.
Résultat : des départements universitaires devenus outils de propagande, un paradigme intellectuel ruiné, des chercheurs compromis influençant l’administration et les médias, et des groupes étudiants comme Students for Justice in Palestine (SJP) capables d’organiser des “Journées de la Rage” quelques heures après les massacres du Hamas. Nos universités — et les institutions qu’elles irriguent — ont légitimé la haine sous couvert de justice sociale.
Et en dehors des campus, ce n’est guère mieux. Les grandes villes occidentales ont été envahies de marches pro-palestiniennes, dont beaucoup ont rapidement viré au soutien explicite ou implicite au Hamas. De Paris à Berlin, de Londres à Sydney, on a assisté à un théâtre de rue violent. Des foules ont scandé des slogans antisémites et islamistes, glorifié le terrorisme et parfois appelé ouvertement au gazage des Juifs. Des drapeaux du Hezbollah ont été brandis, des slogans djihadistes hurlés, du sang versé. En Californie, un vieil homme juif a été tué par un manifestant. Des attentats contre l’ambassade d’Israël ont été déjoués à Londres. Deux employés de l’ambassade israélienne ont été abattus devant le musée juif de Washington.
Et c’est là le point clé : ce ne sont pas de simples débordements marginaux.
S’il y a des drapeaux nazis dans une manifestation, c’est une manifestation nazie.
La même règle doit s’appliquer aux manifestations pro-palestiniennes : toute présence d’antisémitisme en fait des manifestations antisémites.
L’ouverture de l’Occident est devenue son talon d’Achille. Nos adversaires l’ont compris. Iran, Hamas, Qatar, Russie et leurs alliés exploitent nos libertés avec une précision chirurgicale. Ils inondent nos réseaux sociaux de mensonges, financent nos institutions, radicalisent notre jeunesse et nos populations immigrées, divisent le reste — et regardent nos sociétés s’effondrer d’elles-mêmes.
Même le droit international est instrumentalisé. L’Afrique du Sud, reprenant la rhétorique du Hamas, a poursuivi Israël devant la Cour internationale de justice pour un génocide imaginaire. C’était une guerre juridique pure et simple, destinée à délégitimer une démocratie libérale qui se défend contre le terrorisme. En acceptant d’instruire cette plainte, la CIJ a offert au Hamas une victoire de propagande antisémite et une inversion honteuse de la mémoire de la Shoah.
Il ne s’agit pas seulement d’Israël. Ce n’est jamais uniquement Israël.
L’Histoire nous l’enseigne : quand l’antisémitisme explose, c’est la démocratie elle-même qui vacille.
Les Juifs sont la sentinelle dans la mine. Si nous ne pouvons pas les protéger, alors nous avons échoué à protéger l’intégrité morale de notre société.
La guerre de Gaza a mis en lumière les failles. Elle a démontré que les démocraties occidentales sont en danger non pas par faiblesse, mais par complaisance. L’antisémitisme qui prolifère dans nos rues est le baromètre de notre santé nationale. Comme l’a dit Jonathan Tobin : « Si, en tant que société, nous sommes incapables de défendre nos communautés juives, alors nous sommes perdus. »
Comment riposter ? Comment défendre les valeurs qui ont fait notre force ?
Comment une société fracturée, composée d’étrangers les uns aux autres, peut-elle restaurer la liberté, la raison, la tolérance et la vérité, face à un raz-de-marée de propagande malveillante et de financements étrangers ?
Un exemple parfait, ces dernières 24 heures : la désinformation sur Gaza a conduit vingt gouvernements occidentaux à exiger un cessez-le-feu immédiat d’Israël — alors même que c’est le Hamas qui a rejeté la dernière proposition d’accord.
Je crains que nous ne soyons déjà perdus. Nos gouvernements ne savent même pas reconnaître le problème, encore moins y répondre. Nous ignorons l’alerte de la sentinelle, et toute la mine s’effondre autour de nous ».
Andrew Fox (contribution externe)
(Photo by Moiz Salhi/Middle East Images/ABACAPRESS.COM)