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La métamorphose de la Palestine (opinion)

par Contribution Externe

Deux ans après le 7 octobre 2023, la cause palestinienne a profondément transformé le paysage politique et idéologique occidental. Entre empathie sincère, récupération militante et alliance paradoxale entre progressistes et islamistes, elle s’est muée en symbole global d’une lutte « sacrée » contre l’Occident lui-même. “La Palestine, métamorphosée en justification d’une révolte contre l’Occident, n’est donc pas près de disparaître.” Une opinion de Daniel Rodenstein, membre de l’Institut Jonathas.

Pendant deux ans, depuis le 7 octobre 2023, l’Europe et les États-Unis (je vais par facilité les appeler ci-dessous l’Occident), comme beaucoup d’autres régions du monde, ont été parcourus par une vague d’opinions et de manifestations réclamant l’arrêt de la guerre à Gaza.

Cette vague a commencé dès le déclenchement de la guerre par une éclosion de joie explosive et spontanée en faveur de l’agresseur, le Hamas, joie enthousiaste, contagieuse, exprimant à la fois admiration, allégresse, envie de participer, jouissance. Rapidement, la vague a mué en une exigence d’arrêt de toute riposte de la part de l’agressé israélien et d’arrêt d’une guerre qui n’avait pas encore, à ce moment immédiat du début, pris de l’ampleur. La vague dont je parle était constituée essentiellement de la quasi-entièreté de ce qu’on nomme le progressisme (les courants proches du socialisme, du communisme, de l’écologie, de l’anarchisme, c’est-à-dire ces courants qui attendent davantage d’un changement violent et rapide de la société démocratique dans laquelle ils vivent que d’un changement progressif et plus lent) ainsi que des musulmans plutôt conservateurs et religieux installés en Occident ou nés en Occident depuis un demi-siècle. Cet amalgame réussi d’une intellectualité qui s’identifie comme progressiste et d’une communauté conservatrice et religieuse s’explique en partie par un ennemi commun, Israël, État juif.

Accusations, propagande et centralité médiatique

À cette exigence d’arrêt des combats s’est ensuite ajoutée une accusation de massacres indiscriminés, de destructions disproportionnées, de famine et de génocide provoqués par Israël. Ces accusations, relayées par d’innombrables manifestations, rapports de toutes sortes d’ONG, de gouvernements, d’organisations humanitaires et de procès devant des juridictions internationales, étaient justifiées d’une part par une tactique de guerre qui visait à éviter la perte des soldats israéliens et qui obligeait les populations civiles de Gaza à se déplacer continuellement, empirée encore par une restriction à l’entrée de l’aide internationale ; et d’autre part par une excellente machine de propagande du Hamas relayant des informations choisies, tronquées ou déformées à des agences de presse, des chaînes d’information et des groupes d’activistes chargés de sa diffusion via les réseaux (a)sociaux. La présence ininterrompue de la souffrance palestinienne tout au long de ces deux années de guerre a conduit à une centralité de la question palestinienne dans la vie politique de maints pays, jusqu’à influer de façon notoire sur des élections locales totalement irrélevantes par rapport à Gaza ou jusqu’à générer des décisions de boycott d’Israël dans des domaines sans rapport direct avec ce qui se passait à Gaza comme le sport, la culture ou la recherche universitaire.

En cette fin de 2025, M. Trump semble décidé à mettre fin à cette guerre, en accordant une victoire à Israël sans pour autant déclarer une défaite du Hamas. À supposer que le plan Trump réussisse à arrêter les combats de façon durable, et qu’un semblant de reconstruction et de normalisation de la vie ait lieu à Gaza, que va-t-il se passer avec la cause palestinienne en Occident ? Je crois en une métamorphose de cette cause, qui ne va pas s’atténuer ni disparaître. Pour plusieurs raisons que j’essaierai de lister ci-dessous sans établir une hiérarchie.

Motivations plurielles d’un engagement pro-palestinien

Différentes motivations peuvent conduire à adopter une position pro-palestinienne en Occident, depuis une simple commisération légitime devant les images transmises jour après jour de destructions et de mort ; ou d’une simple indignation devant l’impuissance internationale à arrêter le massacre ; ou d’une moins avouable jouissance de pouvoir exprimer ouvertement un antisémitisme de tradition longue étouffée jusque-là ; ou de vouloir autant sinon plus la destruction d’Israël que la création d’un État palestinien. Ces motivations, seules ou combinées, émanent de collectifs aussi différents que des simples citoyens généralement peu sensibles à la politique internationale et ses nombreux massacres et injustices ; des activistes progressistes et contestataires souhaitant des changements profonds d’une société qu’ils perçoivent comme injuste et inégalitaire et qui assimilent cette injustice à celle perçue à Gaza ; des activistes de l’islam radical qui luttent pour une islamisation du monde et contre les idées des Lumières d’égalité femmes-hommes, de liberté d’expression et de pensée, du règne de la loi des hommes sur la loi des dieux ; des groupes révolutionnaires de gauche ou de droite qui recherchent une conjonction d’opposants afin de hâter la destruction du présent et l’avènement de l’avenir radieux. Tous ces collectifs, et d’autres encore, ont fait de Gaza et de la Palestine un noyau central qui leur permet de se sentir portés et unis par une cause quasi sacrée pour le bien et la justice, profondément positive pour l’image de soi. C’est cette sacralisation, je crois, qui va assurer la permanence métamorphosée du double mouvement, pour la Palestine et contre Israël.

La sacralisation de la cause et ses usages politiques

Les Palestines rêvées par les uns et les autres diffèrent entre elles autant que les motivations des uns et des autres, depuis une Palestine promesse d’un califat islamique à venir et fer de lance du califat mondial jusqu’à une Palestine démocratique et pacifique, tandis que la destruction d’Israël reste ancrée dans l’image imposée par les courants progressistes anti-impérialistes (héritiers de l’Union soviétique stalinienne et antisémite) d’un pays fantasmé, colonialiste et tête de pont d’un Occident qui n’existe plus depuis trois quarts de siècle. Mais tant qu’on n’entre pas dans les détails et qu’on reste cantonné dans les principes, alors tous partagent ensemble les slogans et les exigences : pour un État palestinien, contre l’État juif et contre les Juifs, renommés dans le nouveau mot-emblème du Mal : « sionistes ».

Les activistes professionnels qui ont surgi depuis le 7 octobre 2023 ne vont pas, le calme ou la paix venue, retourner à leurs vies antérieures. Ils vont se battre afin d’éviter que la Palestine disparaisse de l’actualité. Ils vont s’efforcer de garder le boycott d’Israël dans le présent du sport, des universités, de la jeunesse insatisfaite, dans le discours politique et diplomatique, en prônant « une Palestine du fleuve à la mer » à la place d’un Israël haï et injustifié. Et ils seront rejoints par tous les autres collectifs avec leurs motivations propres qui n’ont que peu (ou rien) à voir avec le Proche-Orient mais qui chercheront à s’emparer d’une partie de la sacralité de la cause palestinienne, de son aura, afin d’en tirer profit. Comme le syndicat socialiste belge, la FGTB, qui a appelé à manifester contre les mesures socio-économiques du gouvernement et pour la Palestine, comme si les deux étaient liées de façon consubstantielle et que l’une ne pouvait pas aller sans l’autre. En rendant la lutte contre le gouvernement aussi pleine de justice et de bonté que la lutte pour un indéfini État palestinien du fleuve à la mer, en sous-entendant une juste et bonne destruction de l’État juif.

Ainsi, je crois que dans un avenir proche tout au moins, la cause palestinienne non seulement ne disparaîtra pas mais va s’intensifier et s’universaliser en colorant d’une touche palestinienne sacrée chaque revendication, chaque lutte, chaque combat pour des revendications de toutes sortes. À l’instar de Caton l’Ancien qui terminait tous ses discours au Sénat romain, quel que fût son sujet, par la phrase rituelle « Carthage doit être détruite ». Ainsi, ceux qui se considèrent de gauche incorporeront dans leurs discours, quels qu’ils soient, la demande d’un État palestinien (mais lequel ?) et l’exigence de la destruction de l’État juif implicite dans le ritualisé « Du fleuve à la mer ». Et avec cette dernière, l’identification de tout ce qui, de près ou de loin, a à voir avec la chose sioniste (juive) comme l’image du Mal à éradiquer pour un futur radieux de l’humanité. Rien que l’on n’ait déjà vu.

“La Palestine, métamorphosée en justification d’une révolte contre l’Occident, n’est pas près de disparaître.”

Mais Israël et la Palestine, dans ce cadre, ne sont qu’un emblème, un prétexte, pour fragiliser non pas Israël mais la société dans laquelle ces luttes seront menées, c’est-à-dire la société occidentale. Comme dans toute contestation multiforme, chaque groupe qui la configure recherche ses propres objectifs cachés dans l’exigence commune. Ceux qui se nomment progressistes et privilégient la solidarité cherchent à prendre ou reprendre un pouvoir que les élections démocratiques ont tendance ces derniers temps à attribuer aux courants de droite qui privilégient la responsabilité. Les islamistes cherchent à abattre les notions que l’Occident a lentement développées depuis ses lointains débuts gréco-romains pour les remplacer par des croyances rigides et absolues figées au VIIᵉ siècle. Dieu contre l’Homme, les certitudes infaillibles contre le doute salutaire. L’islam absolutiste des martyrs du cheikh Ahmed Yassine et sa Charte du Hamas(1) qui a écrasé l’islam aimable et aimant la vie chanté par Omar Khayyâm. Ces groupes, aussi différents que soient leurs objectifs, essayeront tous de s’emparer de l’aura de la cause palestinienne pour sacraliser leurs messages.

La Palestine, métamorphosée en justification d’une révolte contre l’Occident, n’est pas près de disparaître.

Daniel Rodenstein, membre de l’Institut Jonathas

(1) Dans sa Charte, la devise du Hamas est décrite dans son huitième article : « Dieu est son but, le Prophète son modèle, le Coran sa constitution, le jihad son chemin et la mort sur le chemin de Dieu la plus éminente de ses espérances. »

Les intertitres sont de la rédaction

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