Le Kern a adopté une version profondément amendée de la loi-cadre sur les soins de santé du ministre Vooruit de la Santé publique. Plusieurs mesures phares de Frank Vandenbroucke disparaissent ou sont profondément édulcorées. Les syndicats médicaux crient victoire. Pour nombre d’observateurs, il s’agit d’un revers politique d’envergure pour l’ancien pilier de Vooruit.
Une loi-cadre pensée comme un coup de force
La première mouture de la loi-cadre avait été conçue comme une réforme d’autorité. Frank Vandenbroucke voulait imposer un cadre strict, capable de remodeler la pratique médicale et la répartition des revenus hospitaliers. Deux points cristallisaient la contestation :
- Les plafonds arbitraires sur les suppléments d’honoraires : 25 % pour l’ambulatoire et 125 % pour les prestations hospitalières.
- Une modernisation du conventionnement laissant moins de marge de manœuvre aux médecins, notamment sur le conventionnement partiel qui leur permet de moduler leur conventionnement et le respect des tarifs sociaux selon l’heure de la journée ou le lieu d’exercice.
Cette approche, jugée trop verticale, a déclenché une mobilisation sans précédent des syndicats médicaux. La grève du 7 juillet, portée par l’Absym, a marqué un tournant. Le gouvernement De Wever a dû rouvrir la discussion, aboutissant à une version très différente du projet initial.
Il faut dire que même les mutuelles sont montées au créneau. Le MR avait averti qu’il ne voterait pas le texte au Parlement.
Première concession : fin des plafonds
C’est le symbole le plus commenté. Les plafonds fixes pour les suppléments d’honoraires ont disparu du texte. Thomas Gevaert, président de l’ASGB et du Cartel, interrogé par le Journal du médecin, y voit une victoire nette : « À ceux qui trouvent cela encore dramatique, comparez le cadre actuel avec celui proposé il y a six semaines. Ces plafonds arbitraires ont disparu. Jusqu’à récemment, c’était inenvisageable. Et Vooruit en faisait un acquis. »
Ce retrait change le sens de la réforme : ce qui devait être une norme contraignante devient un cadre de négociation souple, reportant les décisions finales à des concertations futures.
Rétablissement de la concertation
Les médecins étaient jusqu’ici marginalisés dans la mise en place des réformes. La nouvelle version réintroduit une véritable concertation institutionnelle. Patrick Emonts, président de l’Absym, insiste dans le Journal du médecin : « Le gouvernement semble enfin décidé à impliquer les acteurs de terrain. Mais nous resterons vigilants : la concertation doit être réelle. »
Principes syndicaux intégrés au texte
Plusieurs revendications de longue date se retrouvent dans la nouvelle version :
- Reconnaissance du couplage des réformes : la réforme des suppléments d’honoraires est désormais liée à la réforme de la nomenclature et du financement hospitalier, une exigence des syndicats pour éviter les décisions prises « en silo ».
- Distinction entre rémunération intellectuelle et frais de fonctionnement : une évolution saluée par le GBO/Cartel, qui milite depuis des décennies pour cette séparation afin de valoriser le travail médical intellectuel indépendamment des charges techniques.
Zones d’ombre persistantes
Tout n’est pas réglé. Le texte final du Kern n’est pas encore public et certains éléments restent flous d’ici son passage en conseil des ministres élargi.
- Tarifs indicatifs : le communiqué du ministre ne précise pas comment ces tarifs seront appliqués pour les médecins conventionnés.
- Prime de télématique : la volonté de la réserver aux généralistes conventionnés suscite une opposition ferme.
- Financement des syndicats : aucune garantie n’est donnée quant à un financement indépendant du taux de conventionnement. Pour le GBO, cette omission menace la stabilité du système de concertation lui-même.
Rappelons que les syndicats médicaux reçoivent une aumône de la Sécu (un peu plus d’un million d’euros par an versus un milliard pour les mutuelles) pour participer et faire vivre la concertation dans une multitude de commissions paritaires ou non fonctionnant au sein de l’Inami. Et beaucoup de syndicalistes sont en même temps praticiens, même si ils sont nombreux à être proches de la retraite.
Une défaite politique, un ministre affaibli
Pour les observateurs, le passage en force de Frank Vandenbroucke, nonobstant les sourires affichés au côté du Premier ministre cache mal une reculade majeure avec une loi-cadre ressemblant plus à un puzzle qu’à une politique volontariste.
Ce revers dépasse le seul cadre technique des soins de santé. Il illustre un affaiblissement politique de Frank Vandenbroucke, contraint de rétropédaler sur des mesures qu’il présentait comme intouchables. Il donne aussi un signal fort à la profession médicale : la mobilisation (la grève assez bien suivie) peut encore faire bouger un gouvernement.
Nicolas de Pape
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