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Louvre : la Cour des comptes étrille une gestion « aveugle » face au mur financier

par Rédaction

Le musée le plus visité au monde vit largement au-dessus de ses moyens. Dans un rapport au vitriol couvrant la période 2018-2024, la Cour des comptes française démonte la stratégie du Louvre : fréquentation incontrôlée, argent mal orienté, acquisitions d’œuvres jugées dispendieuses, sous-entretien chronique du palais et avalanche de projets non financés. Résultat : un établissement « en impasse », malgré des recettes record.

9 millions de visiteurs… mais aucun pilotage

Plus de trente ans après l’inauguration de la Pyramide de Pei, conçue pour 4 à 5 millions de visiteurs, le Louvre tourne désormais autour de 9 millions d’entrées par an. La Cour le dit frontalement : le musée subit sa fréquentation au lieu de la maîtriser. Les files d’attente record, l’usure des installations et la sur-exposition de la Joconde ne sont plus des accidents mais une stratégie par défaut.

Même la hausse du prix du billet en 2024 n’a eu « aucun effet » sur la fréquentation : deux tiers des visiteurs sont des primo-visiteurs étrangers, insensibles au tarif. Pendant ce temps, les publics de proximité – Parisiens, franciliens, scolaires – sont délaissés. Le Louvre n’a même pas de données fiables sur ses visiteurs.

Le musée préfère acheter des œuvres que rénover ses murs

Le constat est brutal : 105 millions d’euros de ressources propres ont été engloutis en acquisitions d’œuvres, quand seulement 26,7 millions ont été consacrés à la mise aux normes techniques du bâtiment, et 59 millions à la restauration du palais classé monument historique.

88 % des 509 000 œuvres du Louvre dorment en réserve

Pire : le musée s’impose lui-même une règle absurde, gravée dans son statut : 20 % des recettes de billetterie doivent obligatoirement servir à acheter des œuvres. Une mécanique financière totalement déconnectée de la réalité patrimoniale : 88 % des 509 000 œuvres du Louvre dorment en réserve.

La Cour demande la suppression de cette règle, ainsi que l’interdiction d’utiliser les revenus de la licence « Louvre Abu Dhabi » – 207 millions d’euros cumulés – pour enrichir les collections plutôt que sauver les bâtiments.

Réserves saturées, palais vieillissant, sécurité en retard

Le prestigieux Centre de conservation de Liévin, inauguré en 2019, devait désengorger les sous-sols parisiens. En cinq ans, il est déjà saturé. Les réserves du palais ? Toujours aussi nombreuses : le plan de rationalisation a échoué.

Plus grave : plusieurs expositions ont été brutalement fermées en 2023-2024 pour cause de pannes techniques. Le Louvre accumule un retard « considérable » dans l’entretien de ses installations, y compris celles liées à la sécurité et à la conservation. La Cour évoque un risque de réputation inédit pour l’institution culturelle française la plus emblématique.

Un projet pharaonique lancé… sans étude préalable

Le musée veut tout faire en même temps : une nouvelle entrée, 22 000 m² d’espaces supplémentaires, une salle dédiée à la Joconde, un neuvième département muséographique, la rénovation de l’auditorium, la refonte de parcours déjà récents, etc. Total : 1,15 milliard d’euros de travaux – sans plan de financement.

La Cour parle d’un musée « en pilotage défaillant », qui engage des projets « sans évaluation des coûts, ni des besoins humains, ni des impacts sur les flux de visiteurs ».

La facture explose : la nouvelle entrée, estimée 450 M€, atteint déjà 667 M€. Et rien n’est encore construit.

Un établissement riche… mais incapable de choisir

Le Louvre dispose de 60 % de ressources propres, un niveau rare dans la sphère publique. Mais au lieu d’arbitrer, il additionne : acquisitions + grands travaux + reconfigurations + rénovation + nouveaux départements.

Le rapport résume la logique : « une fuite en avant financière ».

Ce que la Cour exige (et qui devrait faire trembler la direction):

-couper immédiatement dans les acquisitions d’œuvres

-réallouer l’argent d’Abu Dhabi au chantier de rénovation

-hiérarchiser les projets, au lieu de tout lancer à la fois

-réinternaliser la gestion du public-fidélité (actuellement confiée aux Amis du Louvre)

-créer enfin un vrai pilotage numérique, inexistant en 2025

-rétablir la priorité : la sécurité du bâtiment avant la mise en scène du prestige

Verdict : un Louvre magnifique, mais mal gouverné

Le musée le plus symbolique de France souffre d’un mal très français : l’obsession du prestige plutôt que la gestion du réel. On agrandit, on inaugure, on achète… pendant que les plafonds fuient, que les systèmes de sécurité vieillissent et que les agents travaillent sous tension.

Si rien ne change, la Cour laisse entendre une issue taboue : la crise de gouvernance pour l’institution-vitrine de la France.

A.G.

(Photo : Delphine Goldsztejn)

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