Le concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël, dirigé par Lahav Shani, a été interrompu jeudi soir à la Philharmonie de Paris à la suite d’actions coordonnées de militants pro-palestiniens présents dans la salle, munis notamment de fumigènes. Quatre personnes ont été placées en garde à vue. Si le concert a pu reprendre, l’épisode soulève une question de fond : peut-on encore, en France et en Europe, garantir que l’art demeure un espace sûr, commun, exempt de pressions idéologiques et de rapports de force politiques ?
La soirée avait été repérée comme une cible depuis plusieurs semaines. Dans une salle comble, des individus disposant de billets ont interrompu à trois reprises la représentation, dont deux fois en allumant des fumigènes au milieu du public. Des spectateurs se sont interposés, des coups ont été échangés, et le concert a dû être un moment suspendu. Les perturbateurs ont ensuite été évacués, et la représentation a pu reprendre jusqu’à son terme.
Les images montrent un moment de bascule : le lieu qui devrait être l’un des plus protégés de l’espace civil — une salle de concert — est soudain envahi par l’intimidation, la pression physique et le vacarme militant. Ce n’est pas seulement un trouble à l’ordre public : c’est une tentative d’empêcher que l’art puisse se dérouler. La Philharmonie a déposé plainte et rappelé ce principe simple et essentiel : « Quelles que soient les opinions de chacun, il est inadmissible de menacer la sécurité du public, du personnel et des artistes. »
Une pression organisée et revendiquée
Ces actes ne surgissent pas du hasard. Depuis le 29 octobre, la CGT Spectacle appelait à contester la tenue du concert. Son communiqué dénonçait « une entreprise de normalisation de l’État d’Israël » et demandait que la Philharmonie « rappelle au public les accusations gravissimes » pesant sur les dirigeants israéliens.
Exiger d’une institution culturelle qu’elle transforme un concert en procuration politique est une pression directe sur la création. C’est précisément le type de chantage moral que la République française a toujours refusé. En demandant à la Philharmonie d’adopter une position publique, puis en perturbant physiquement la représentation faute d’y être parvenus, les militants ont franchi la ligne qui sépare le débat public de l’atteinte à la liberté culturelle.
Une réaction institutionnelle nette
La ministre française de la Culture Rachida Dati avait déjà averti avant le concert : « La liberté de création et de programmation est une valeur de notre République. Aucun prétexte à l’antisémitisme. » Après les incidents, le président du Crif, Yonathan Arfi, a dénoncé des « agitateurs haineux » et demandé des « sanctions exemplaires ». Le ministre de l’Intérieur Laurent Nuñez a « condamné fermement » ces actes.
Ces réactions sont importantes, mais ne suffisent pas à résoudre ce que révèle cette affaire : une forme de militantisme d’intimidation, qui considère que l’art n’est plus un espace partagé mais un champ de bataille légitime.
Un précédent préoccupant
Ce n’est pas la première fois que Lahav Shani est visé. En septembre, son concert avait été déprogrammé du festival de Gand. Le message est clair : certains estiment aujourd’hui qu’un artiste n’est acceptable que s’il adopte explicitement la position politique attendue de lui. L’histoire européenne a montré où conduit l’idée que l’art doit se plier à l’orthodoxie du moment.
Un enjeu qui dépasse Israël, Gaza et ce concert
Ce n’est pas un débat sur le Proche-Orient, il est sur le statut de l’art dans la cité. Si l’on accepte qu’une salle de concert soit une violente pétaudière, alors on renonce à l’idée même d’un espace commun où l’on se rassemble non pour s’affronter, mais pour écouter. La Philharmonie conclut : « La violence n’est pas un débat. La faire entrer dans une salle de concert est très grave. »
Harrison du Bus
(Photo: Matthias Balk/dpa)