Pour la première fois depuis 2019, le gouvernement fédéral américain est à l’arrêt. Derrière cette paralysie budgétaire se cache une mécanique institutionnelle bien rodée, mais aussi un affrontement politique qui divise profondément le Congrès. Entre républicains majoritaires et démocrates minoritaires, chacun tente d’imputer la responsabilité de cette crise aux autres. Les premiers à payer le prix de cette incurie sont les citoyens américains, dans les aéroports ou dans les banques alimentaires.
Le 1ᵉʳ octobre 2025, faute d’accord budgétaire au Congrès, les États-Unis sont entrés en « shutdown », autrement dit en paralysie partielle du gouvernement fédéral. Dans les faits, des centaines de milliers de fonctionnaires sont mis en congé sans solde, des services publics ferment, les musées nationaux tirent le rideau et certaines prestations sociales sont retardées. Ce scénario, déjà connu des Américains, découle d’un blocage institutionnel aussi récurrent que coûteux.
Chaque année, le Congrès doit voter douze lois dites d’« appropriations », qui financent les agences fédérales. En l’absence d’un accord, ou d’un consensus sur un « prolongement », la loi interdit toute dépense non autorisée : l’État ferme ses portes, à l’exception des missions jugées « essentielles », comme la défense ou la sécurité. C’est ce que prévoit l’Antideficiency Act, un texte vieux de plus d’un siècle que le pays redécouvre régulièrement à ses dépens.
La question de la responsabilité fait rage à Washington. Les républicains affirment que les démocrates bloquent volontairement le vote pour obtenir des concessions politiques, tandis que ces derniers dénoncent la rigidité idéologique d’un camp conservateur déterminé à couper dans les dépenses sociales. Dans les sondages, toutefois, l’opinion penche nettement : selon un baromètre de l’Associated Press, plus de la moitié des Américains estiment que la majorité républicaine et le président portent la plus grande part de responsabilité dans la crise actuelle.
Deux visions du rôle de l’État quant à la protection sociale
Ce bras de fer s’inscrit dans un climat politique déjà polarisé, où chaque camp instrumentalise la procédure budgétaire : les républicains veulent isoler la question du financement de celle des politiques sociales, les démocrates cherchent à les lier pour défendre leurs priorités. L’enjeu dépasse donc le simple vote de crédits : il touche à la conception même du rôle de l’État fédéral dans la protection sociale.
Les conséquences, elles, sont bien réelles. Environ 750.000 fonctionnaires sont en congé forcé, tandis que d’autres continuent à travailler sans être payés. Les parcs nationaux ferment, les dossiers d’immigration s’accumulent, les petites entreprises dépendantes de contrats publics s’inquiètent. Selon la Congressional Budget Office, chaque jour de shutdown coûte plusieurs centaines de millions de dollars à l’économie américaine, sans parler du coût politique : la confiance dans les institutions s’érode à mesure que le pays s’enlise. Les plus aisés doivent attendre des heures dans les files des aéroports nationaux – les employés de la TSA, qui vérifient notamment les bagages, sont des employés fédéraux, tandis, qu’à l’autre bout du spectre, les plus démunis se voient « priver » de colis alimentaires distribués par les « food banks », dont dépendent 40 millions d’Américains.
Dans l’histoire récente, les shutdowns se répètent, symptomatiques d’un système institutionnel fondé sur la séparation des pouvoirs mais miné par la polarisation partisane. Loin d’être un simple accident budgétaire, celui de 2025 illustre la fragilité d’une démocratie où le compromis devient l’exception.
Maxence Dozin
(Photo by Anthony Behar/Sipa USA)