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Sansal : quand la lâcheté se déguise en hauteur morale (Carte blanche)

par Contribution Externe

Une carte blanche de Kamel Bencheickh, écrivain.

Il y a des silences qui hurlent plus fort que des injures. Pendant que Boualem Sansal croupissait dans l’arbitraire le plus nu, une partie de ceux qui prétendent penser pour le pays ont choisi la position la plus confortable : se taire, détourner le regard, ou pire, accabler l’écrivain pour mieux excuser un pouvoir qui piétinait la liberté sans même prendre la peine de s’en cacher. Les mêmes qui bondissent d’ordinaire au moindre souffle liberticide venu d’ailleurs ont soudain trouvé des trésors de compréhension pour une répression qui ne méritait que leur indignation. Leur discours, vêtu des atours fatigués d’un pseudo anticolonialisme à géométrie variable, n’était rien d’autre qu’un copier-coller servile de la propagande d’un régime allergique à la dissidence. Je parle des intellectuels français mais surtout des intellectuels algériens.

Et puis il y a ceux qui, tout en sachant exactement ce qui se jouait, ont choisi la brume, l’ambiguïté, la pirouette. Invoquer les sensibilités d’un peuple, les blessures de l’histoire ou les subtilités diplomatiques pour justifier un silence devant l’injustice, c’est participer à cette injustice. C’est préférer sa tranquillité à la dignité. C’est abandonner un écrivain à son sort tout en s’abritant derrière des prétextes aussi commodes qu’indignes.

« On ne peut pas défendre la liberté comme on défend un abonnement de transport : valable certains jours, invalidé les jours de tempête. »

Rien, absolument rien, ne justifiait la prudence. Ceux qui ont été visés l’ont été pour une seule raison : ils pensent librement. Ils refusent les cages identitaires, les consignes idéologiques, les intimidations morales. Et cela suffit, toujours, à faire trembler les pouvoirs fragiles. Cela suffit aussi, apparemment, à tétaniser ceux qui, ici, se drapent en champions de la liberté dès lors que cela ne leur coûte rien.

Aujourd’hui, la réalité a balayé leurs insinuations. L’écrivain est libre, et leur malaise suinte à travers leurs silences gênés. On ne peut pas défendre la liberté comme on défend un abonnement de transport : valable certains jours, invalidé les jours de tempête. La liberté ne souffre pas de condition, pas de frilosité, pas de calcul : elle se défend partout, tout le temps, surtout lorsque c’est risqué.

Cette affaire aura été un révélateur brutal. D’un côté, ceux pour qui la liberté n’est pas négociable. De l’autre, une cohorte de prudents, de frileux, de stratèges, qui se détournent dès que le vent se lève. Boualem Sansal respire enfin l’air libre. Leur silence, lui, restera à jamais l’empreinte de leur renoncement. Une occasion manquée, peut-être la seule qui comptait vraiment.

Kamel Bencheickh, écrivain

(Photo : Bastien Ohier / Hans Lucas via AFP)

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