Une carte blanche d’Olivier Willocx, député bruxellois MR et ancien patron de Beci.
La rumeur d’un Georges-Louis Bouchez ministre-président ne repose ni sur le droit, ni sur les équilibres politiques bruxellois. Cette rumeur sert avant tout d’écran de fumée pour détourner l’attention des enjeux réels. Pire encore, elle ignore délibérément les verrous de la loi spéciale de 1989 et la mémoire encore vive des parachutages imposés à Bruxelles. Et pourtant, Bruxelles compte plus d’un million d’habitants, dont une part significative parmi les plus diplômés et compétents du monde. Comment croire, dès lors, qu’aucun d’entre eux ne serait capable d’assumer la fonction de ministre-président ? Cette posture révèle surtout le mépris avec lequel certains considèrent les Bruxellois : comme une masse incompétente dont il faudrait importer les cadres dirigeants, comme si le talent politique n’existait qu’ailleurs, loin de nos murs.
Un cadre institutionnel qui rend la rumeur irréaliste
La loi spéciale du 12 janvier 1989 n’a pas été conçue pour servir des intérêts partisans, mais bien pour organiser un exécutif reflétant une majorité bruxelloise francophone et néerlandophone issue du Parlement régional. Le ministre-président ne naît pas d’un coup de stylo dans un cabinet de parti, mais émane d’une coalition stable parmi les 89 députés, respectant les équilibres linguistiques et les mécanismes de majorité. Et c’est bien pour cela que la nomination éclair d’une personnalité dépourvue de véritable base parlementaire locale est impossible.
L’article 12, et les dispositions voisines, encadrent strictement la composition du gouvernement et les liens entre mandat parlementaire et fonctions exécutives. L’esprit de ce dispositif est limpide : l’exécutif bruxellois doit rester ancré dans la représentation bruxelloise. En aucun cas il ne peut devenir l’extension organique d’un leadership extérieur.
Incompatibilités, décumul et exigence d’ancrage
À ce socle institutionnel s’ajoute un second verrou, plus politique. Le régime d’incompatibilités et le décumul, renforcés au fil du temps, empêchent la concentration du pouvoir entre présidences de parti et exécutifs régionaux. La fonction de ministre-président, dans une Région en crise budgétaire, exige une disponibilité totale et un réel ancrage local. Il serait fou d’imaginer qu’une figure, déjà au cœur des rapports de force nationaux, puisse cumuler cela avec un mandat bruxellois. Cela reviendrait à nier cette exigence élémentaire de bonne gouvernance. Aucun partenaire francophone ou néerlandophone ne soutiendrait une personnalisation excessive du pouvoir. L’arithmétique des coalitions, la culture du compromis bruxellois et la méfiance partagée envers les aventures institutionnelles suffisent, à elles seules, à invalider ce scénario.
Les « parachutages » qui ont vacciné Bruxelles
Si le spectre du « parachutage » choque autant à Bruxelles, c’est parce que les cas de Laurette Onkelinx et Daniel Ducarme ont laissé des cicatrices durables.
La première, longtemps élue en Wallonie et figure nationale du PS, a été propulsée au cœur de la politique bruxelloise, notamment comme conseillère communale à Schaerbeek puis présidente de la fédération bruxelloise du PS, et renvoie à un pilotage perçu comme externe.
Le second, devenu ministre‑président de la Région de Bruxelles‑Capitale après une carrière essentiellement construite en Wallonie et au niveau fédéral, renvoie à un exécutif dirigé par quelqu’un dont l’ancrage n’était pas bruxellois.
Ces épisodes ont renforcé une conviction transpartisane : la Région refuse désormais les parachutages décidés ailleurs. Dans ce contexte, rejouer aujourd’hui le fantasme d’une prise de contrôle de Bruxelles par une figure nationale, sans base locale claire, relève plus de la manœuvre de peur que d’une analyse sérieuse des équilibres institutionnels.
Une rumeur pour éviter le débat de fond
Dès lors, pourquoi insister sur une hypothèse juridiquement impossible et politiquement impraticable ? Parce qu’elle permet d’éluder les questions essentielles : situation budgétaire, gouvernance, efficacité des politiques menées depuis vingt ans. On préfère ainsi convoquer un scénario anxiogène et réduire le choix politique à un réflexe pavlovien : « tout sauf lui ».
En agitant une menace juridiquement verrouillée et politiquement ingérable, certains espèrent reconstituer à bon compte un front de rejet, fédérer un électorat inquiet et masquer leurs propres impasses programmatiques et éviter les questions dérangeantes.
Redonner Bruxelles aux Bruxellois
La question n’est pas de savoir quel épouvantail brandir, mais qui prendra Bruxelles au sérieux. Bruxelles compte plus d’un million d’habitants et figure parmi les villes les plus diplômées du monde en proportion de sa population : il serait proprement incompréhensible qu’un parti comme le MR n’y trouve pas une personnalité compétente, ancrée et crédible pour incarner la fonction de ministre-président. La Région regorge de talents bruxellois qui connaissent le terrain, les enjeux locaux et les réalités quotidiennes des habitants ; c’est parmi eux que doit se trouver la légitimité.
Le ministre-président sera choisi dans l’hémicycle, sur la base d’un projet crédible et d’une majorité bruxelloise. Entretenir l’idée inverse, c’est infantiliser les Bruxellois et remplacer le débat par la peur. Il est grand temps de recentrer la discussion sur le contenu, la responsabilité et la capacité de construire un exécutif réellement bruxellois.
Olivier Willocx, député bruxellois MR et ancien patron de Beci
(Photos : 21News / Belga James Arthur Gekiere)