C’est une question stratégique cruciale : un désengagement américain serait à la fois un choc géopolitique et une opportunité historique, mais pas une surprise totale puisque depuis plusieurs années, les États-Unis demandent aux Européens d’assumer une plus grande part du fardeau militaire.
Un retrait (ou une réduction drastique) de leur engagement dans l’OTAN bouleverserait, non seulement la garantie de défense nucléaire américaine (le fameux “parapluie nucléaire”), mais également la dissuasion conventionnelle, car les États-Unis fournissent aujourd’hui l’écrasante majorité des capacités de renseignement, de projection et de logistique de l’OTAN. Cela créerait un vide stratégique immédiat, mais aussi une opportunité historique pour une Défense Européenne réellement autonome. Un retrait américain forcerait les 30 autres membres de l’OTAN — principalement les Européens — à résoudre des questions jamais traitées sérieusement.
Commençons par définir une doctrine militaire commune. Actuellement, les Européens n’ont pas de stratégie commune claire, de hiérarchie militaire unifiée, ni de priorités capacitaires harmonisées. Le désengagement US obligerait à trancher politiquement ces questions.
Ensuite, mutualisons nos capacités industrielles. L’Europe a une puissance industrielle fragmentée : 17 modèles de chars différents, 29 types d’avions de combat, 20 types de véhicules blindés… Sans les États-Unis, la pression pour rationaliser et fusionner ces programmes deviendrait irrésistible (avions européens communs, blindés communs, munitions standardisées).
Puis, construisons une dissuasion crédible. L’Europe devrait redéfinir comment assurer une dissuasion nucléaire (France seule puissance nucléaire autonome dans l’UE), et comment financer une armée européenne crédible (objectifs : 2–3 % du PIB dans la défense).
Enfin, concevons un partenariat OTAN 2.0 (sans domination américaine). L’OTAN pourrait continuer d’exister comme structure politique, mais la partie militaire deviendrait essentiellement européenne, éventuellement avec le Canada, le Royaume-Uni et la Turquie comme partenaires-clé.
Ce serait une opportune chance stratégique. Parce qu’aujourd’hui, la dépendance vis-à-vis de Washington bloque toute ambition stratégique européenne. Sans les États-Unis, l’autonomie deviendrait une nécessité, les divergences internes seraient forcées à être résolues, la souveraineté européenne ne serait plus un concept, mais une obligation. Cela pourrait donner naissance à quelque chose de splendide : une Union européenne géopolitique, une armée européenne intégrée, une base industrielle commune de défense, une nouvelle architecture de sécurité continentale.
Ceci dit, la fenêtre pour agir serait très courte. Le principal danger serait que les Européens réagissent trop lentement, créant un vide militaire, une vulnérabilité stratégique, des divergences politiques ingérables, et davantage d’instabilité aux frontières (Russie, Méditerranée, Moyen-Orient). En d’autres mots, si les États-Unis se désengageaient de l’OTAN, ce serait à la fois un séisme et une fenêtre d’opportunité unique pour bâtir enfin une Défense Européenne autonome, cohérente et puissante. L’UE serait enfin en mesure d’accomplir son devoir historique.
Mais seulement si les Européens s’organisent rapidement, abandonnent leurs divisions et investissent massivement dans une vision stratégique commune. Bref, au prix d’un saut politique, budgétaire et industriel que les Européens n’ont encore jamais accepté de faire à cette échelle. Faute de se décider vite, le risque majeur est de se retrouver dans un entredeux dangereux : un désengagement américain plus rapide que la montée en puissance européenne, avec un trou capacitaire majeur en matière de dissuasion nucléaire et de moyens stratégiques.
Les États-Unis restent aujourd’hui le pilier de l’OTAN pour la dissuasion nucléaire, le renseignement stratégique, le transport stratégique, la supériorité aérienne, la défense antimissile et la logistique de grande ampleur. Un retrait ou un fort désengagement obligerait donc l’Europe à combler rapidement ces « capacités habilitantes » si elle veut conserver une capacité crédible de dissuasion et de défense territoriale, notamment face à la Russie.
Des estimations récentes évaluent qu’une Europe sans les Etats-Unis devrait augmenter ses dépenses militaires d’environ 250 milliards d’euros par an à court terme, pour atteindre autour de 3,5% du PIB, recruter environ 300 000 militaires supplémentaires et accroître massivement ses capacités en aviation, drones, missiles, renseignement et mobilité militaire. Cela dépasserait très largement l’effort actuel, même si une majorité d’alliés atteignent désormais ou dépassent le seuil des 2% de PIB consacré à la défense. Mais cela réveillerait magistralement les capacités à construire en Europe et donc activerait la renaissance industrielle européenne.
Les Européens disposent déjà d’un territoire, d’une base industrielle et technologique de défense, et de forces armées significatives, ainsi que de deux puissances nucléaires (France et Royaume-Uni) capables de fournir un socle de dissuasion.
Plusieurs analyses soulignent que, en volume cumulé, les dépenses de défense européennes dépassent largement celles de la Russie, ce qui permettrait, à terme, de constituer une posture crédible de défense territoriale si les efforts étaient mieux coordonnés. Le désengagement américain serait un défi immense. Mais pour une Europe qui veut redevenir sujet de l’histoire, ce serait surtout une opportunité fondatrice.
J’en appelle donc à embrasser cette transition, non dans la peur, mais dans l’audace d’une Europe souveraine : lucide, tournée vers la puissance et la responsabilité.
Carl-Alexandre Robyn, ingénieur-conseil en valorisation de startups et fondateur du Mouvement Droite Moderniste (MDM)
(Credit: Aaron Schwartz / Pool via CNP)