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De Wever – Bouchez, duel et duo au cœur de l’Arizona (Édito)

par Demetrio Scagliola

Le nouvel accord budgétaire confirme une réalité déjà palpable depuis le début de la législature : la Belgique est davantage gouvernée par l’attelage De Wever–Bouchez que par une véritable coalition. Car même si les deux hommes ne s’épargnent pas, le duo donne à l’Arizona une orientation clairement de « droite-centre » au gouvernement fédéral.

Plus qu’un simple compromis entre cinq partis, l’accord porte la marque d’un binôme : un Premier ministre qui doit défendre la totalité du paquet, et un président du MR qui choisit ses batailles et ses victoires symboliques. Dans ce jeu, Bouchez peut se présenter comme celui qui a bloqué la hausse généralisée de la TVA, tandis que De Wever endosse la responsabilité globale d’un budget sévère mais présenté comme “inévitable” pour éviter le naufrage des finances publiques. Cette perception fragilise davantage Vooruit, les Engagés et le CD&V, confinés dans un rôle défensif où il s’agit surtout de “limiter la casse” plutôt que d’imprimer leur propre vision sociale. Ce n’est pas un hasard si Maxime Prévot (Les Engagés) s’est multiplié médiatiquement ce lundi pour défendre la marque de son mouvement dans cet accord : la préservation de la santé, des touches vertes et un parquet financier chargé de donner « de la justice et de la justesse » dans la lutte contre les fraudeurs.

Un accord de droite-centre

Sur le fond, le budget prolonge la logique de l’accord de gouvernement : un effort « réduit » à  9,2 milliards d’ici 2029 (10 milliards à l’horizon 2030), limitation des dépenses, activation des inactifs, durcissement des conditions de pension et glissement de la fiscalité du travail vers la consommation, l’énergie fossile et certains patrimoines. Ce n’est pas l’austérité brutale, mais un ajustement constant, étalé dans le temps.

Les revendications de “justice” budgétaire sont présentes mais circonscrites : les “épaules les plus larges” contribuent davantage via la taxe sur les comptes-titres ou la fiscalité des sociétés de management, mais la structure d’ensemble reste modérée vis-à-vis des grandes fortunes et des entreprises. De ce point de vue, le gouvernement répond davantage au besoin de “rassurer” l’Europe et les marchés qu’à celui de rebattre profondément les cartes de la redistribution.

Un pied dans la porte de l’indexation automatique des salaires

La méthode retenue sur la fiscalité illustre cette ambiguïté. Plutôt qu’un grand soir fiscal, l’accord empile les ajustements : pas de hausse générale de la TVA à 22%, mais des coups de tournevis sur l’Horeca, l’hôtellerie, les loisirs, certains produits de consommation courante. À cela s’ajoutent la hausse graduelle des accises sur le gaz, le mazout et les carburants fossiles (que l’on retrouvera aussi à la pompe sur le prix de l’essence et du diesel), compensée partiellement par des baisses sur l’électricité, et l’introduction d’un “centenindex” qui plafonne l’indexation des salaires et de certaines allocations au-dessus d’un seuil.

En limitant l’indexation pour les salaires au-dessus de 4.000 euros bruts, la majorité Arizona touche au mécanisme, considéré comme un tabou absolu pour la gauche et les syndicats. La majorité met donc un pied dans la porte de l’indexation des salaires. D’ailleurs, cette progressivité de l’indexation n’est pas neuve, le MR et la N-VA l’avaient déjà avancée voici quelques années.

Le report à 2030 de la dernière tranche de hausse de la quotité exemptée d’impôt enfonce le clou. Ce qui devait être le cœur “positif” de la réforme – plus de net en poche pour ceux qui travaillent – est repoussé à une législature suivante. Les contribuables, eux, verront tout de suite les hausses de taxes et les limitations d’indexation, tandis que les bénéfices promis sont renvoyés à plus tard, conditionnés à une continuité politique incertaine. C’est là l’un des nœuds politiques de cet accord : demander des sacrifices immédiats pour des gains différés dont personne ne peut garantir la réalité.

Pensions, inactivités : le pari de la rigueur sociale

L’accord acte une évolution annoncée du contrat social belge sur les pensions et l’inactivité de longue durée. Durcissement des conditions de carrière pour partir avant l’âge légal, malus significatifs pour ceux qui ne remplissent pas les nouveaux critères, bonus pour les carrières prolongées : l’équilibre se déplace clairement vers l’idée d’un travail plus long, avec moins de marges pour les carrières hachées ou les métiers pénibles. Les militaires, cheminots et fonctionnaires voient leurs régimes progressivement alignés, les tantièmes préférentiels disparaissent pour les années à venir, et la logique d’exception recule.

Cette rigueur n’est pas seulement budgétaire, elle est aussi idéologique : la “longue inactivité” est pensée comme un problème à résoudre, non comme le symptôme d’un marché de l’emploi inadapté ou d’une santé au travail dégradée. Le pari de l’Arizona est qu’une partie significative de l’électorat acceptera cette dureté à la fois comme la récompense du travail et comme le prix d’un État providence sauvé in extremis.

Le coup politique des grèves reléguées

C’est dans ce contexte qu’il faut lire le timing de l’accord, tombé à l’aube du premier des trois jours de grève nationale décrétés par les syndicats. En plaçant sa conférence de presse et son récit budgétaire au cœur de cette séquence, le gouvernement a réussi un coup de maître médiatique : reléguer la grève au second plan et s’installer comme l’“acteur responsable” qui prend des décisions difficiles pendant que d’autres bloquent le pays. Le message implicite est limpide : d’un côté, les réformes, de l’autre, la contestation.

Demetrio Scagliola

(Photos : Belgaimage)

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