Sous couvert de sécurité, la Belgique a fait de la vitesse sur la route un très rémunérateur levier budgétaire. Sur la surface nationale, près de 4 700 radars automatiques en fonction financent l’État de sommes dispendieuses en constatant des millions d’infractions, ensuite verbalisées. Cette automatisation croissante fait du pays le détenteur du record mondial de la densité des contrôles par radars, record aussi d’un sentiment d’injustice des automobilistes.
Dans une chronique publiée par La Libre, le fiscaliste Emmanuel Degrève évoque une « fiscalité routière systémique » : plus de neuf millions d’infractions constatées en 2024, dont la majorité pour des dépassements de vitesse inférieurs à 10 km/h. Autrement dit, un dispositif qui sanctionne davantage l’inattention que la dangerosité. Pour Degrève, la lutte contre l’insécurité routière s’est transformée en une « machine à cash » rapportant plusieurs dizaines de millions d’euros par an.
Les Régions ont vite saisi la rentabilité du système ; la Flandre a décidé d’activer la totalité de son réseau de radars, jour et nuit, en internalisant le traitement des données pour maximiser les recettes. La Wallonie, elle, s’apprête à confier aux communes la gestion de leurs propres dispositifs, sous condition de réinvestir les revenus dans les infrastructures locales — une réforme détaillée par le journal Virgule, qui souligne le glissement du modèle vers un contrôle décentralisé.
Un contrôle total, du radar au permis numérique
Bruxelles illustre cette ambiguïté : depuis la généralisation de la zone 30, le nombre de verbalisations a plus que doublé, passant de 220 000 à près d’un demi-million. À l’échelle nationale, on compte désormais 422 radars fixes par million d’habitants, contre seulement 50 en France. Cette densité inégalée traduit moins une politique de prévention qu’un changement de paradigme : la vitesse devient une assiette fiscale, et le conducteur, une ressource budgétaire.
Virgule rappelle aussi que la répression s’automatise à l’échelle européenne. Le permis de conduire numérique, attendu d’ici 2030, permettra de vérifier instantanément la validité d’un document ou d’une sanction. Un permis suspendu pourra être désactivé à distance, et les retraits s’appliqueront dans tous les États membres. L’harmonisation promise par Bruxelles étend ainsi le filet du contrôle à l’ensemble du continent.
Cette logique technocratique, perçue comme implacable, suscite un malaise croissant. L’association Mauto Défense dénonce « l’hypocrisie des responsables » : ceux-ci présentent les radars comme un instrument de sécurité, alors qu’ils sont devenus, selon l’association, une source de revenus quasi permanente.
Le système montre d’ailleurs ses failles. Plusieurs juges ont annulé des amendes pour vice de forme, Bpost n’apposant plus de cachet daté sur les enveloppes des PV — rendant impossible la preuve du respect du délai légal d’envoi. Une anomalie administrative qui vient fissurer un édifice présenté comme infaillible.
Il reste la question du contrat social ; taxer les comportements dangereux est légitime, mais encore faut-il que l’argent serve à autre chose qu’à combler des déficits. Si les recettes étaient orientées vers les transports publics, la mobilité douce ou la réduction d’autres taxes automobiles, la logique serait plus facilement défendable. En l’absence de cette transparence, la sanction devient pour beaucoup un impôt déguisé.
La Belgique peut se féliciter d’avoir réduit la mortalité routière à un niveau historiquement bas, mais la confusion des objectifs mine la confiance. À force de confondre prudence et punition, elle risque de transformer le civisme en résignation fiscale. Et l’automobiliste, las d’être traqué, finit par lever le pied — non plus par conscience, mais par contrainte.
Harrison du Bus
(PHOTO THOMAS SAMSON/ AFP)