La fusillade de mercredi dernier aux abords de la station de métro Clemenceau à Bruxelles a certainement quelque chose de positif : elle a produit des images que personne ne peut ignorer. Ceux qui les ont vues ne peuvent les relativiser. Un voisin a entendu des coups de feu au petit matin et a filmé de sa fenêtre comment un homme armé d’une kalachnikov a commencé à tirer. Ce que l’on peut voir, c’est que les balles volaient dans tous les sens.
Le plus choquant, c’est que des gens entraient et sortaient de la station de métro en même temps. Plus tard, des images provenant de caméras de surveillance ont fait surface, montrant deux hommes armés aux portes d’entrée du métro. Là où nous scannons notre ticket, ils exhibent leurs armes de guerre.
Ce sont des images qui font immédiatement le tour du monde. Bienvenue à Bruxelles, capitale de l’Europe.
Les hommes armés disparaissent dans les tunnels du métro. Le trafic est interrompu. Une armée de Rambo entame des recherches pendant des heures, en vain. Pendant un certain temps, Bruxelles a fait la une de l’actualité nationale.
Plus tard dans la journée, des coups de feu ont également été tirés à Saint-Josse. Puis, un jour plus tard, de nouveau à Clemenceau. L’inévitable se produit : un passant occasionnel est touché à la jambe.
Bruxelles se transforme en Chicago des années 1920
C’est le terrible résultat de l’insécurité bruxelloise, qui s’est considérablement accrue ces dernières années. Les causes sont connues et sont à nouveau invoquées pour expliquer les récentes fusillades : il s’agit d’une question d’argent et d’un commerce très rentable qui donne lieu à des luttes territoriales sans merci entre les bandes de trafiquants de drogue. Ces derniers ne veulent pas partager leurs revenus élevés avec leurs rivaux. Bruxelles se transforme peu à peu en une copie du Chicago d’Al Capone, où la police était impuissante face à la violence aveugle.
L’année dernière, un décès s’est produit à Saint-Gilles, près d’une crèche où j’avais l’habitude d’emmener mon petit-fils. Un sans-papier employé par la mafia de la drogue a rencontré une balle perdue. Dans ma commune de Forest, une violente tentative d’enlèvement à un arrêt de bus a failli se terminer de manière dramatique. En pleine journée, les autres passagers ne savaient pas ce qu’ils voyaient.
L’audace des gangs a atteint des niveaux insoutenables. Leur mode opératoire est ouvert et exposé : sur une place de mon quartier, des clients font patiemment la queue pour acheter leur drogue.
Ce trafic ne se fait pas aux heures sombres et obscures, mais tout simplement pendant la journée. La police ne peut pas faire grand-chose car les bandes sont immédiatement alertées lorsqu’elle intervient et disparaissent comme par enchantement. S’ils sont arrêtés, ils n’ont ni argent ni drogue dans leurs poches. Ceux-ci ont disparu grâce à un système de transmission sophistiqué. Les habitants en ont tellement marre de l’impuissance de la police qu’ils filment eux-mêmes les trafiquants de drogue. Ce n’est pas sans danger…
Une paralysie politique
Le phénomène n’est pas nouveau, la pourriture dure depuis des années. Les hommes politiques ont laissé faire. Lorsque les choses ont dégénéré à la gare du Midi il y a deux étés, c’est le ministre de l’Intérieur qui représentait l’autorité. Le ministre-président Bruxellois Rudi Vervoort (PS) était absent. Aujourd’hui, la même chose s’est produite. Le nouveau ministre de la Sécurité, Bernard Quintin (MR), est immédiatement apparu dans le quartier concerné. Une fois de plus, le ministre sortant Vervoort n’a pas jugé bon de l’accompagner. Pour lui, une fusillade n’est probablement rien d’autre qu’une mauvaise affaire courante.
L’ homme fort du PS, Ahmed Laaouej, n’a pas non plus donné signe de vie. Il a laissé ce soin à son fidèle collaborateur Ridouane Chahid. Ce dernier a répété ce que trop de politiciens bruxellois disent depuis des années, à savoir qu’ils veulent plus de moyens pour lutter contre la criminalité. En même temps, il a immédiatement critiqué le projet du nouveau gouvernement de créer une zone de police unifiée.
Il est évident qu’il faudra plus d’argent et de personnel pour lutter efficacement contre les gangs de trafiquants de drogue. Mais cet argument apparaît trop souvent comme un alibi pour ne pas avoir à parler d’une meilleure organisation de la police à Bruxelles. Dans aucune autre métropole, les ressources ne sont aussi divisés, les règlements de police différents par zone, en l’absence d’un commandement central fort pour tout le territoire.
Comme les dealers, les bourgmestres aussi défendent leur territoire
Ce qu’il ne faut pas dire dans les cercles politiques bruxellois, c’est que les objections des bourgmestres sont principalement liées à ce qu’ils considèrent comme un empiétement sur leur pouvoir et leurs compétences. Et ils utilisent ad nauseam le faux élément de la « proximité ». Mais dans d’autres villes du monde dotées d’un système de sécurité centralisé, la proximité avec les citoyens n’est pas inexistante dans les quartiers et les districts. Au lieu de penser principalement à conserver leur propre pouvoir, les bourgmestres feraient mieux, en cette période dramatique, de réfléchir avec un esprit ouvert à l’organisation d’une lutte publique plus efficace contre la criminalité. Les gangs bien organisés regardent avec amusement l’armée mexicaine de 19 bourgmestres, de six chefs de zone de police, de l’organisation régionale de sécurité Safe.brussels et d’un ministre-président qui se condamne à l’observation passive.
Les bourgmestres des communes de la zone du canal ont trop longtemps fait preuve de laxisme. Lorsqu’il était échevin, Jean Spinette (PS), actuel bourgmestre de Saint-Gilles, a critiqué une police de proximité nouvellement mise en place parce qu’elle était, selon lui, trop sévère à l’égard des jeunes délinquants. Cette manière de relativiser la petite délinquance a également été entendue à Molenbeek, où la bourgmestre Catherine Moureaux (PS) a qualifié les incendies de la Saint-Sylvestre comme une façon de faire la fête. Un message pour le moins ambigu de la part du gouvernement, dont les effets néfastes se font encore sentir aujourd’hui.
Les habitants ont peur
Dans le quartier d’Anderlecht, autour de la station de métro où les coups de feu ont été tirés, les habitants parlent ouvertement de leur peur. Ils n’osent plus sortir dans la rue. Ils envisagent de déménager. Nous avons atteint le fond : en l’absence d’une réponse politique forte de la part des politiciens locaux, les Bruxellois ordinaires ont perdu l’espoir que les choses s’arrangent un jour pour leur quartier. Ils ont de plus en plus peur de prendre le métro. Ils voient trop ce qu’ils voient : tomber sur des zombies drogués mendiants. Depuis mercredi, ils savent qu’on peut aussi y croiser des gangsters lourdement armés.
En 2024, pas moins de 89 fusillades ont été recensées dans la Région bruxelloise, faisant neuf morts. Les Bruxellois ne veulent pas croire que leurs représentants politiques ne se rendent pas compte de la gravité de la situation. Ou veulent-ils assister passivement à l’amélioration de cet ignoble record de l’année passée ?
Luckas Vander Taelen, chroniqueur 21News (titre et intertitres sont de la rédaction)
(Photo Belga : Nicolas Maeterlinck)