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Les 75 ans de la « Déclaration Schuman » et le « Big Bang » américain

par Pascal Lefevre

Si le monde se souvient du 8 mai 1945 comme de la date de la capitulation nazie, l’Europe ne doit pas oublier ce qu’elle doit au 9 mai 1950. Ce jour-là, Robert Schuman pose les bases de la construction européenne. Une chronique de Pascal Lefèvre, chroniqueur politique indépendant.

Ce 9 mai 2025, on célèbre le 75e anniversaire de la « Déclaration Schuman ».

Le discours du ministre des Affaires étrangères français, prononcé dans le salon de l’Horloge au Quai d’Orsay, à Paris, est considéré comme le texte fondateur de la construction européenne.

Bien que cela ne figure pas dans les conclusions du Conseil européen de Milan des 28 et 29 juin 1985, c’est lors de cette réunion que les chefs d’État et de gouvernements ont décidé que cet événement serait commémoré le 9 mai de chaque année sous la forme d’une « Journée de l’Europe ».

Seize États membres sur vingt-huit à l’époque[1] ont même consacré cette date comme un des cinq « symboles de l’appartenance commune des citoyens à l’Union européenne et de leur lien avec celle-ci » dans une déclaration n° 52 annexée au traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007[2].

Une arme contre la guerre

Le 9 mai 1950, Robert Schuman proposa de « placer l’ensemble de la production franco-allemande de charbon et d’acier sous une Haute Autorité commune, dans une organisation ouverte à la participation des autres pays d’Europe ». Cette suggestion reçu l’aval du Chancelier ouest-allemand Konrad Adenauer.

C’était un projet particulièrement ambitieux et audacieux. La mémoire et les séquelles de la Deuxième Guerre mondiale restaient encore vives, à peine cinq ans après la fin des hostilités ayant fait des dizaines de millions de morts.

L’objectif était à la fois économique et politique. Le charbon et l’acier constituaient les deux piliers de l’économie française et allemande (ainsi que de l’économie belge). Leur mise en commun, par la création d’un marché unique et une gestion confiée à une institution supranationale, visait à empêcher l’éclatement d’un nouveau conflit dévastateur, selon un principe simple : plus les économies sont intégrées, plus le recours à la force devient dommageable.

Le jour de la déclaration, le plan fut envoyé simultanément aux autorités américaines, ouest-allemandes, britanniques, italiennes, belges, néerlandaises et luxembourgeoises.

Malgré l’attitude plutôt favorable du Premier ministre britannique Clement Attlee, la commission parlementaire chargée d’examiner le projet au Royaume-Uni renâcla, s’opposant à la formation d’une « Haute Autorité » susceptible de porter atteinte à la souveraineté du pays.

Les négociations furent ainsi entamées entre la France, l’Allemagne de l’Ouest, l’Italie et les trois pays du Benelux et aboutirent à la signature, à Paris, du « traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier » (CECA) le 18 avril 1951, première étape vers l’adoption de textes postérieurs, parmi lesquels le « traité instituant la Communauté économique européenne » (CEE) – dit « traité de Rome » – et le « traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique » (EURATOM) en 1957, le « traité de Fusion » (des institutions) en 1965, l’« Acte unique européen » en 1986, le « traité sur l’Union européenne » (traité de Maastricht) en 1992, le « traité d’Amsterdam » en 1997, et ainsi de suite jusqu’au « traité de Lisbonne » en 2007.

Le projet d’origine d’une Fédération européenne

On l’oublie souvent, mais la finalité poursuivie par Robert Schuman et les autres « Pères Fondateurs de l’Europe » – le Français Jean Monnet, le Belge Paul-Henri Spaak, l’Allemand Konrad Adenauer, l’Italien Alcide De Gasperi… – était, dès le départ, de parvenir à terme à une Europe politique et fédérale. L’union économique devait précéder l’union politique, un peu à l’image de la « Zollverein » (union douanière) qui en 1834 avait anticipé la création du premier « Empire allemand » en 1871.

C’est d’ailleurs explicitement mentionné dans la déclaration du 9 mai 1950 : « la mise en commun des productions de charbon et d’acier assurera immédiatement l’établissement de bases communes de développement économique, première étape de la Fédération européenne », ou encore « cette proposition réalisera les premières assises concrètes d’une Fédération européenne ».

Nonobstant des avancées notables en ce sens, toutes les tentatives pour instaurer une Europe fédérale et politique ont, à ce jour, échoué : le projet de traité portant statut de la Communauté politique européenne de Paul-Henri Spaak en 1953, le projet de traité instituant l’Union européenne d’Altiero Spinelli en 1984, etc.

Le « Big Bang » américain : une opportunité pour l’Europe

Le ressentiment affiché par la nouvelle administration américaine à l’égard de l’Union européenne, comme toute crise, constitue une aubaine et témoigne de la nécessité pour l’Europe de se renforcer. Il n’existe aucune alternative crédible face aux géants américains et chinois, ainsi qu’aux velléités impérialistes de la Russie poutinienne. « L’union fait la force » et non l’inverse.

Et la priorité se situe sur le plan militaire et commercial.

Cela signifie concrètement qu’une Europe de la Défense intégrée doit voir le jour. Il est piquant, mais aujourd’hui réjouissant, de constater que la France d’Emmanuel Macron s’en fait le chantre, alors que c’est l’Hexagone de Pierre Mendès-France qui, en 1954, avait rejeté le « traité de Communauté européenne de Défense » (CED), qui prévoyait la mise en place d’une armée commune dans un ensemble placé sous une autorité européenne unique.

L’absence de fiabilité de notre partenaire américain au sein de l’OTAN, son alignement sur les thèses moscovites, la guerre en Ukraine et les menaces qui pèsent sur plusieurs pays d’Europe de l’Est, qu’ils soient membres ou non de l’Union européenne, rendent cette solution plus nécessaire et plus urgente que jamais. Quitte à ce qu’elle prenne effectivement d’abord la forme d’une coalition européenne des « volontaires ». Une Europe « à plusieurs vitesses » n’est pas une nouveauté et permet d’avancer là où d’autres hésitent (Schengen, Euro…).

L’Europe doit également se raffermir sur le plan commercial. La « politique commerciale commune » est déjà une « compétence exclusive » de l’Union européenne, ce qui signifie qu’il revient à celle-ci, et non aux États membres, de légiférer sur les questions commerciales et de conclure des accords commerciaux internationaux.

C’est une force qui a permis à l’Europe de passer une quarantaine d’accords internationaux avec plus de septante pays et régions, qui, quoi qu’on en dise (à tort), ont été largement bénéfiques à ses intérêts économiques et à sa balance commerciale (tous les chiffres en attestent).

L’Union européenne est la première puissance commerciale au monde avec plus de 16 % des échanges commerciaux, devant la Chine, à 13,5%, et les États-Unis, également à 13,5%.[3]

Étant donné que l’Europe est entraînée, bien malgré elle, dans une guerre commerciale irrationnelle et agressive, même si elle a été en partie momentanément suspendue pendant 90 jours, que plus de trente millions d’emplois dans l’Union européenne dépendent des exportations hors UE, et que, selon les prévisions, 90 % de la croissance mondiale future devrait se réaliser en dehors des frontières de l’Europe[4], il est impératif non seulement de se protéger contre les droits de douane à l’importation qui nous sont ou seraient imposés, ou à l’encontre d’éventuelles autres mesures protectionnistes, mais aussi de réorienter une partie de notre économie, à la fois sur le plan intérieur (l’Europe est le plus grand Marché unique au monde) et extérieur (en recherchant de nouveaux débouchés et partenaires, et en resserrant les liens avec les alliés qui nous sont restés fidèles, comme le Canada et l’Australie).

Comme l’écrivait Jean Monnet dans ses « Mémoires », « tout est possible dans les moments exceptionnels, à condition que l’on soit prêt, que l’on ait un projet clair à l’instant où tout est confus ».

Pascal Lefèvre, chroniqueur politique indépendant

(Photo : Hans Lucas collection)


[1] L’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, Chypre, l’Espagne, la Grèce, la Hongrie, l’Italie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, le Portugal, la Roumanie, la Slovénie, et la Slovaquie

[2] Les quatre autres symboles sont le drapeau européen (douze étoiles d’or sur fond bleu), l’hymne européen (« l’Ode à la joie » de la Neuvième symphonie de Ludwig van Beethoven), la devise européenne (« Unie dans la diversité »), et la monnaie européenne (l’euro).

[3] Source : Conseil européen et Conseil de l’Union européenne, 12 décembre 2024.

[4] Source : idem, op.cit.

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