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Molenbeek, la tumeur au cœur de Bruxelles (Carte blanche)

par Contribution Externe

Une carte blanche de Kamel Bencheikh, écrivain

Il arrive un moment où les euphémismes ne suffisent plus. Où l’on ne peut plus se contenter de parler de « difficultés sociales », de « fragilités » ou de « défis de la diversité ». Le départ de Françoise Schepmans, ancienne bourgmestre de Molenbeek, sonne comme un aveu : cette commune est devenue inhabitable pour ceux qui refusent de courber l’échine devant la loi des bandes et des trafics. Quand une responsable politique qui y a consacré trente-cinq ans de sa vie finit par déclarer forfait et traverser le canal, c’est bien le signe que quelque chose de profond s’est brisé.

Molenbeek est désormais une enclave étrangère dans le royaume. Les attentats de Paris et de Bruxelles avaient déjà révélé au monde entier qu’une partie du territoire belge était devenue le terreau fertile de l’islamisme radical. On s’était alors juré que « plus jamais ça ». Mais dix ans plus tard, qu’a-t-on fait ? Rien, sinon laisser la situation empirer. Aujourd’hui, Molenbeek est rongée par une autre gangrène : le trafic de drogue, les fusillades à répétition, l’économie parallèle et les zones de non-droit.

« (Philippe) Moureaux se voulait l’architecte d’un « vivre-ensemble » qui s’est avéré être une politique de renoncements. »

Pire encore : la commune est privée depuis des mois de véritable direction politique. La bourgmestre est en arrêt maladie, les institutions sont paralysées. Au lieu d’un pouvoir public fort, capable de reprendre la main, c’est le vide qui règne. Et ce vide, comme toujours, est comblé par les plus violents.

Mais il serait trop simple de réduire Molenbeek à une accumulation de faits divers récents. Sa déchéance est le fruit d’une histoire politique lourde. Pendant des décennies, Philippe Moureaux, figure tutélaire du Parti socialiste bruxellois, a construit son pouvoir sur une mécanique implacable : le clientélisme communautaire. On distribuait des postes, des faveurs, des subsides, en échange de votes. On fermait les yeux sur les dérives, pourvu que les urnes répondent présent. Cette logique électoraliste a verrouillé la vie politique locale et empêché toute réforme de fond.

Moureaux se voulait l’architecte d’un « vivre-ensemble » qui s’est avéré être une politique de renoncements. Loin de promouvoir l’intégration, on a sacralisé les appartenances communautaires, on a valorisé les réseaux associatifs confessionnels, on a transformé les identités en capital politique. L’illusion a tenu un temps, mais elle a accouché d’une réalité explosive : un territoire fragmenté, miné par le communautarisme et dépourvu de cohésion civique.

« Reconquérir Molenbeek, ce n’est pas une question de prestige ou d’image. C’est une question de survie politique et morale. »

Quand l’État ferme les yeux, d’autres forces s’installent. Ce furent d’abord les réseaux islamistes, dont les ramifications ont mené aux pires attentats. Aujourd’hui, ce sont les trafiquants de drogue, qui imposent leur loi dans les rues. Toujours la même logique : quand l’autorité légitime recule, l’autorité illégitime s’impose.

Le problème n’est pas seulement local, il est existentiel. Si l’on continue à fermer les yeux par lâcheté, par clientélisme électoral ou par peur d’affronter la réalité du communautarisme, Molenbeek ne sera pas un cas isolé : elle deviendra le modèle de ce qui attend d’autres quartiers, d’autres villes, d’autres capitales.

Reconquérir Molenbeek, ce n’est pas une question de prestige ou d’image. C’est une question de survie politique et morale. Un État qui tolère en son sein un territoire où ses lois ne s’appliquent plus abdique une part de sa souveraineté. Et un pays qui abdique finit toujours par être gouverné de l’extérieur, ou par les mafias de l’intérieur.

Il ne s’agit pas de stigmatiser les habitants, mais de rappeler qu’ils sont les premiers otages de cette faillite. Ceux qui veulent simplement vivre en paix, envoyer leurs enfants à l’école sans craindre les dealers du coin de la rue, circuler sans entendre des rafales de kalachnikov, sont abandonnés. Leur liberté et leur dignité sont confisquées par l’impuissance publique.

Molenbeek n’est pas une fatalité. Mais pour l’empêcher de devenir le tombeau symbolique de Bruxelles, il faudra un courage politique que l’on n’a pas encore constaté. L’autorité doit être rétablie, sans compromis, sans clientélisme, sans excuses. C’est le prix à payer si l’on veut éviter que la capitale belge, et avec elle l’Europe, ne se retrouve gangrenée de l’intérieur.

Kamel Bencheikh

(Photo Belgaimage : la porte de Ninove)

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