Accueil » Frères musulmans : les alertes s’accumulent, l’action se fait attendre (Carte blanche)

Frères musulmans : les alertes s’accumulent, l’action se fait attendre (Carte blanche)

par Contribution Externe

Dans le récent rapport sur l’entrisme frériste publié en France, la Belgique est considérée comme le Carrefour européen d’un islam politique aux contours diffus. Qu’attendent les responsables pour agir ? Une carte blanche de Daniela Bîciu.

La Belgique fait l’objet d’une mise en garde sévère dans un rapport des services de renseignement français, révélé ce 21 mai 2025 lors d’un Conseil de défense à l’Élysée, présidé par Emmanuel Macron. Ce document de 73 pages, rédigé par deux hauts fonctionnaires français, souligne la porosité entre les réseaux français et belges. Il qualifie la Belgique de « carrefour européen de la mouvance frériste » et dresse un constat alarmant : les Frères musulmans, via un islamisme « par le bas », tissent patiemment un réseau d’associations.

Le rapport français cite la Ligue des musulmans de Belgique, le Conseil des musulmans européens, le Femyso ou encore le CIIB, pour diffuser des revendications politico-religieuses dans l’espace public.  Ces structures, partiellement financées par des pays comme le Qatar et le Koweït, s’appuieraient donc sur une stratégie d’entrisme, visant à influencer progressivement les règles locales, notamment sur des sujets comme la neutralité de l’Etat, l’enseignement et les normes éducatives, les droits LGTBQ ou encore l’égalité entre les sexes. Bruxelles, par sa proximité avec les institutions européennes et la facilité de créer une asbl, est un terrain stratégique de choix pour cette mouvance.

Le Comité R avait défriché le terrain

Mais le rapport français ne tombe pas sur un terrain aride. Dès 2022, un rapport déclassifié du Comité R, l’organe de contrôle parlementaire des services de renseignement belges, classait les Frères musulmans comme une « menace haute et prioritaire ». Ce rapport identifiait des structures liées à la confrérie, allant des mosquées aux mouvements scouts, en passant par des écoles et des think-tanks. Le profil type : des cadres diplômés, d’apparence intégrés, pilotant pourtant une stratégie entriste de long terme.

Malgré ces signaux répétés, aucun plan d’action cohérent n’a été adopté depuis. Le Comité R lui-même déplore l’absence de coordination et de définition claire de la menace. Comment expliquer cette inertie persistante ? Le chapitre 4 du rapport français, intitulé « Prise de conscience », avance plusieurs raisons déjà notoires : un morcellement institutionnel typiquement belge, où les compétences sont éclatées entre les différents niveaux de pouvoir, une attitude politique hésitante – si pas indifférente –, un pays dépourvu de la culture sécuritaire… On y ajoute un faible relais médiatique qui empêche le débat de s’ancrer durablement dans l’opinion publique. Sans parler du militantisme associatif, prêt à dégainer la carte blanche indignée pour dénoncer toute remise en question.

Des signaux d’alerte ignorés

Quelques soubresauts politiques ont malgré tout tenté de briser ce silence complice en Belgique. En 2021, la nomination d’Ihsane Haouach par Ecolo comme commissaire du gouvernement — rapidement remise en cause en raison de soupçons de liens avec les Frères musulmans — avait brièvement fait polémique. En 2023, le député Georges Dallemagne (Les Engagés) accusait Ecolo d’être infiltré par des sympathisants fréristes, accusations vivement rejetées par le parti, qui menaçait même de poursuites juridiques toute personne qui (se) poserait des questions.

Ces débats, faute de volonté politique commune, se sont vite éteints, élections obligent. D’autres, comme Denis Ducarme (MR), ont tenté de maintenir la pression, sans effet notable. Actiris, l’agence bruxelloise pour l’emploi, a sollicité même des influenceurs communautaires pour atteindre les jeunes des quartiers populaires. Certains de ces influenceurs apparaissent ensuite sur des chaînes de télévision qataries — pays soutien des Frères musulmans — diffusant régulièrement des narratifs identitaires.

Le couvercle sur la casserole fumante

Dans une logique électoraliste assumée, certains responsables politiques ont même fermé les yeux. Ils ont généreusement subventionné le narratif de l’émancipation des jeunes par des formations, comme outil contre l’exclusion. Belle idée, si à la fin, ces projets ne servaient pas juste à remplir les poches de leurs dirigeants. Et sur le terrain, au lieu de l’inclusion, régnait en fait une ambiance communautariste, loin des objectifs louables d’inclusion affichés.

Depuis des années, des sommes folles ont été investies dans la cohésion sociale, et pourtant, le rejet des valeurs de la société belge et occidentale en général persiste. Discours victimaire protégé par une gauche qui, dans sa quête d’un nouvel électorat, a abandonné depuis longtemps les ouvriers, au profit de masses immigrées perçues comme le nouveau lumpenprolétariat. Gauche plus prête à compter les voix à l’Eurovision que de s’attaquer aux dangers pour la démocratie. Les voix critiques sont vite taxées de racisme ou d’islamophobie — un terme d’ailleurs forgé et instrumentalisé à l’origine par des islamistes mêmes, pour disqualifier tout débat.

Le dernier rapport français, classifié comme « choc », ne révèle donc rien que l’on ne sache déjà, sinon à mettre des noms sur le mal. Tout ou presque est su, documenté, mais rien ne bouge. Tant que les clivages partisans empêcheront l’émergence d’une vision commune, les alertes resteront lettre morte. Face à la multiplication des lignes de fracture, seule une réponse lucide, structurée et transpartisane pourra éviter que la Belgique ne devienne le terrain d’expérimentation d’une idéologie politico-religieuse incompatible avec ses principes fondamentaux.

Sortir du déni : des pistes concrètes

Au-delà du constat, des pistes concrètes pourraient donc être envisagées pour sortir de l’inaction et offrir une réponse démocratique, ferme et lucide à cette menace insidieuse. D’abord, une définition juridique claire de la mouvance frériste devrait être adoptée. Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde, disait Camus. Nommer précisément cette idéologie, sans la confondre avec l’islam (certains pays arabes ont même interdit les Frères Musulmans), permettrait aux services publics de mieux cibler leurs actions sans craindre d’être accusés de discrimination.

Ensuite, un registre de transparence des associations, qui existe déjà au niveau européen, s’impose. Toute organisation recevant des fonds publics devrait y déclarer ses partenaires étrangers, ses sources de financement et ses responsables effectifs. C’est une exigence de lisibilité démocratique qui semble évidente mais qui pourtant n’est pas mise en application.

Une conditionnalité stricte des subventions publiques – surtout en période de crise budgétaire – pourrait aussi être instaurée. La signature d’une charte de respect des valeurs fondamentales (liberté de conscience, égalité des sexes, lutte contre les racismes et l’homophobie, etc) deviendrait un prérequis. Tout manquement entraînerait un retrait des aides. Pas d’argent public sans vitrine claire, ce n’est pas sorcier. Opportun aussi de créer une cellule d’audit indépendante pour évaluer les projets dits d’inclusion financés dans les quartiers populaires. Trop souvent, sous couvert d’émancipation, ces initiatives nourrissent un repli identitaire. Pas de droits sans devoirs envers les principes démocratiques. En bref, il est temps d’évaluer ce qu’on finance vraiment avec nos impôts, car les indicateurs de performance ne sont pas une insulte.

Défendre un islam démocratique

Les acteurs publics doivent également être formés, partant du postulat qu’on ne combat pas ce qu’on ne comprend pas. Bourgmestres, fonctionnaires, éducateurs et travailleurs sociaux devraient suivre des modules sur l’entrisme et les stratégies d’influence. Une vigilance accrue passe par une meilleure compréhension du phénomène.  La création d’une plateforme de coordination interservices, regroupant la Sûreté de l’État, les polices (la fusion envisagée sera bénéfique à ce processus), les communes et d’autres acteurs, permettrait de rompre l’isolement des informations. Une action concertée est indispensable, car l’échange d’information est le nerf de la contre-offensive.

Il est également essentiel de soutenir les voix musulmanes démocratiques. Souvent marginalisées, ces figures citoyennes, attachées aux droits humains, à la neutralité de l’État et à la mixité réelle, méritent d’être davantage entendues — plutôt que d’être stigmatisées par des militants à l’agenda caché, dans leur propre milieu, qualifiées de traîtres, et prises pour cible sur les réseaux sociaux ou via les canaux souterrains du WhatsApp.

Pour garantir une vigilance démocratique durable, une dernière piste mérite d’être explorée : que la Sûreté de l’État, en lien avec d’autres organes habilités, puisse présenter chaque année un rapport public au Parlement fédéral. Ce que la Sûreté et la police savent, le Parlement doit l’entendre publiquement.  Ce rapport permettrait aux politiques, médias et citoyens de suivre l’évolution de la menace et d’éviter que les alertes restent sans suite. La transparence est un rempart contre l’aveuglement et obligerait la classe politique de créer des lois appropriées contre ce phénomène. À l’heure actuelle, il ne s’agit plus de savoir, mais d’agir — car face à ceux qui avancent masqués, l’inaction est déjà une forme de renoncement.

Daniela Bîciu (les intertitres sont de la rédaction)

(Photo : Belpress)

You may also like

21News est un média belge francophone qui promeut la liberté, l’entrepreneuriat et la pluralité d’opinions.

Sélections de la rédaction

Derniers articles

Êtes-vous sûr de vouloir débloquer cet article ?
Déblocages restants : 0
Êtes-vous sûr de vouloir annuler l'abonnement ?