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L’impasse bruxelloise, une bombe à retardement pour toute la Belgique (Chronique)

par Fouad Gandoul

Le fédéralisme propre à notre pays et la particratie belge sont mis à très rude épreuve à Bruxelles. Plus d’un an après les élections du 9 juin 2024, la Région de Bruxelles‑Capitale reste sans gouvernement, s’enfonçant chaque jour davantage dans le déficit. Ce qui aurait dû être un processus ordinaire de formation est devenu une crise institutionnelle majeure et paralysante : malgré les rumeurs d’alliances créatives pour maintenir la N‑VA dans la coalition, rien ne bouge.

Confiance et préparation sont indispensables pour mener un dialogue sérieux sur une coalition, or le PS refuse catégoriquement toute négociation avec la N‑VA. Pendant ce temps, la capitale suffoque sous le poids du chaos routier, de la pauvreté persistante, de l’insécurité croissante et de la crise du logement. Plus de 400 jours se sont écoulés, et malgré quelques contacts entre Groen, N‑VA, Open Vld et Vooruit, la situation reste figée. Ce blocage arrange la classe politique locale : chacun se retranche derrière la gestion des « affaires courantes », esquivant les décisions difficiles — tandis que la ville s’effondre.

D’un point de vue juridique, la Constitution belge autorise ce régime transitoire pour éviter un vide institutionnel. Mais politiquement, c’est un véritable appel à l’inaction : les partis privilégient le calcul électoral immédiat au détriment d’une gouvernance responsable. Ce schéma a nourri un phénomène de free‑riding : régions endettées, dépenses maintenues sans coupes, et recours systématique au fédéral au moindre souci. Les travaux de VIVES (KU Leuven, discussion paper n°98, janvier 2024) soulignent comment la réforme de 2014 a allégé les contraintes budgétaires, favorisant ce comportement.

Des finances engagées dans une spirale dangereuse

La Belgique vit structurellement au‑dessus de ses moyens, cela vaut en particulier pour la Région wallonne et la Région de Bruxelles‑Capitale. Selon une analyse de la soutenabilité de la dette par la Commission européenne, les risques pour les finances publiques belges sont élevés à moyen et long terme. Le ratio de la dette du secteur public s’élevait à environ 105 % du PIB fin  2024 et devrait atteindre près de 120 % d’ici  2030 – un niveau bien supérieur à celui des autres pays de la zone euro. Cette trajectoire nourrit la critique d’un fédéralisme inefficace.

La situation budgétaire en Wallonie est si catastrophique que la Région doit dégager plus de 250  millions d’euros cette année pour financer Liège, Charleroi, Mons, Namur, La Louvière et Seraing. Les grandes banques ING Belgique et Belfius refusent, pour l’instant, d’octroyer des fonds supplémentaires à ces six villes. La dette croissante de Bruxelles et de Wallonie surcharge les finances fédérales. Et ce poids pèse bien au-delà des chiffres : il alimente une spirale où l’État fédéral renfloue, exacerbant ressentiments et tensions communautaires. La confiance s’érode jour après jour. Comment la Belgique pourrait‑elle atteindre ses objectifs climatiques pour 2030 et 2050, ou promouvoir Bruxelles comme capitale européenne, si elle n’a même plus les moyens de gouverner ?

Un fédéralisme réinventé

Pour sortir de cette spirale, il est urgent d’envisager des réformes fortes. L’étude sur la dette publique belge publiée par VIVES propose trois pistes de responsabilisation, idéalement combinées :

Premièrement, une septième réforme de l’État devrait redéfinir l’équilibre entre fédéral, régions et communautés. Les réformateurs de l’État de 1988 et 1993 ont imaginé un concept original, désormais usé, du fédéralisme belge. La sixième réforme de l’État, surnommée « Accord papillon » en référence au nœud papillon porté par Elio Di Rupo, alors Premier ministre de Belgique et chef du gouvernement, constituait une réponse incomplète à la demande complexe de davantage d’autonomie. Chercher un nouveau compromis devient de plus en plus difficile à mesure que la situation budgétaire s’aggrave au sud de la frontière linguistique. Cela implique une compensation budgétaire considérable, et l’on peut supposer que les nationalistes flamands ne seront pas prêts à la financer sans concessions importantes en faveur de l’autonomisation et la responsabilisation des entités fédérées.

On pourrait donc approfondir la décentralisation, en donnant plus de marge de manœuvre aux régions, ou opter pour une recentralisation de compétences stratégiques comme la dette, la fiscalité ou la mobilité, afin de garantir la cohérence budgétaire. Chaque choix a ses atouts et ses risques : gagner en autonomie, oui, mais avec les moyens de ses ambitions ; centraliser pour stabiliser, mais risquer de figer les réalités locales. Une recentralisation n’est politiquement envisageable que si la parité dans la composition du gouvernement fédéral est abolie et que les modalités de révision de la constitution sont fortement assouplis.

Deuxièmement, il faut absolument formaliser un principe « No‑Bailout » plus strict : chaque entité assume seule ses dettes, sans intervention systématique de l’État fédéral, à l’instar des règles de la zone euro ou du Pacte de stabilité. Plus clair et plus contraignant, ce principe signifierait : si tu empruntes, tu rembourses.

Troisièmement, créer un mécanisme de faillite pour les entités fédérées, à l’image des cadres existants pour les gouvernements locaux dans des pays comme le Brésil, la Suisse ou la Russie. Ce « state insolvency framework » permettrait de gérer de manière organisée une crise de paiement régionale, avec un plan de restructuration clair. Une telle procédure jouerait un rôle dissuasif, imposant une responsabilité financière avant le désastre, comme c’est le cas à Bruxelles et en Wallonie actuellement.

Ces trois leviers combinés — réforme institutionnelle, non-renflouement automatique, cadre d’insolvabilité — peuvent initier une rupture avec la culture politique irresponsable et persistante actuelle. Ils permettront de restaurer la discipline budgétaire, la transparence et la confiance entre les niveaux de pouvoir. Sans ces changements, la Belgique s’expose à un fédéralisme dysfonctionnel, incapable de faire face aux défis de demain.

La mission de cette génération politique est claire : instaurer la symétrie, simplifier pour économiser, homogénéiser compétences et responsabiliser les finances publiques. La tension entre belgicistes et régionalistes mènera, comme toujours, à des solutions par trop singulières : c’est la lente maturation du fédéralisme belge.

Alors que nous nous apprêtons à célébrer les 200  ans de la Belgique en 2030, il est grand temps de revenir à l’essentiel : un État cohérent, solidaire et durable. Sinon, d’ici dix ans, il n’y aura plus de fête d’anniversaire, mais une partition douloureuse.

Fouad Gandoul, chroniqueur 21News

(Photo Belgaimage)

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