Oui ! Difficile, mais pas insurmontable. Avec au bout du chemin un gain d’influence internationale pour notre pays, un plus grand attachement à nos partenaires occidentaux et une position géopolitique de notre Royaume renforcée. En prime, une économie ragaillardie par une nouvelle résilience sociétale et industrielle, bâtie sur les fondations d’une capacité de défense autonome.
Voici une analyse en plusieurs points pour expliquer ce paradoxe :
Premièrement, il s’agit de quitter l’OTAN non pas par idéologie anti-OTAN, ou anti-américaine, ou pour épouser une idéologie pacifiste ou anti-armée, mais au contraire, pour nous donner les moyens d’une défense autonome et, partant, initier une refonte plus large et plus profonde de la sécurité collective européenne. Sortir de l’OTAN pour devenir un catalyseur du renforcement de la défense commune européenne, en montrant l’exemple !
Il ne s’agit donc pas de renoncer au principe d’une sécurité collective mais de la métamorphoser en une nouvelle OTAN européenne, constituée d’une fédération de pays ayant chacun, idéalement, une capacité de défense autonome de base, à l’aune de celle que doit bâtir une Belgique visionnaire.
Ce qui augurera d’une efficacité que majorée, puisque l’OTAN, aujourd’hui, c’est essentiellement un collectif de 32 pays dont 28 n’ont pas de capacité de défense autonome (à l’exception des États-Unis, du Royaume-Uni, de la Suède et de la France).
Ne plus rester les vassaux des États-Unis
Nous nous alimentons tous, avec raison, au Baxter du Grand frère américain pour faire fonctionner l’OTAN (principal fournisseur du parapluie nucléaire, et des armements lourds pour la plupart des armées européennes). Et notre inféodation va grandissante (la dernière directive de l’OTAN impose de consacrer désormais 5% du PIB à la défense). Ce faisant, nous rendons impossible l’émergence d’une défense autonome européenne, puisque l’OTAN accapare toutes nos ressources budgétaires disponibles pour assurer la défense de nos territoires, sans contreparties économiques significatives… pour nous.
En outre, la versatilité du Président Trump suscite de nombreux et angoissants débats sur l’interprétation de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord et sur son application effective, et nous oblige à comprendre que la sécurité collective de l’OTAN actuelle n’offre qu’une garantie aléatoire. Ce qui nous oblige à réfléchir à une question existentielle plus large concernant la sécurité européenne : voulons-nous plus d’indépendance ou une alliance renforcée avec les États-Unis ?
L’OTAN, une longue histoire commune avec la Belgique
Aujourd’hui, l’OTAN est le pilier central de la défense belge. Il ne s’agit pas de renier une alliance historique et structurante : la Belgique est membre fondateur depuis 1949, le siège politique de l’OTAN est situé à Bruxelles depuis 1967 (photo), et notre coopération militaire est intense avec nos alliés.
Il s’agit plutôt de s’inquiéter de notre trop grande subordination stratégique (capacité militaire limitée du Royaume, partage de technologies, de renseignements, et dissuasion nucléaire : faible autonomie sans l’OTAN).
Cette soumission, voulue ou imposée, devient problématique puisque la garantie de sécurité collective nous apparaît comme de plus en plus incertaine.
« La Belgique doit montrer l’exemple d’une intégration politique plus poussée dans la défense européenne. »
Il ne s’agit pas de viser la neutralité (modèle suisse ou modèle autrichien). Ce serait un retour en arrière trop risqué. Nous en avons fait les frais en 1914 et en 1940. Et puis, nous savons que la neutralité aujourd’hui n’est qu’une dépendance déguisée. Dans le monde actuel, une petite puissance neutre est souvent dépendante des grands blocs pour garantir sa sécurité de facto.
En fait, le meilleur scénario pour une Belgique hors de l’OTAN sera une complète intégration dans la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l’UE, et dans d’autres projets européens (Eurocorps, PESCO), où elle pourra servir de catalyseur et de dynamiseur puisque toutes ces initiatives sont encore embryonnaires à ce jour. La Belgique doit montrer l’exemple d’une intégration politique plus poussée dans la défense européenne.
Des moyens alloués différemment
La force hors de l’OTAN n’est pas un objectif illusoire pour notre Royaume. Cet objectif d’indépendance nécessitera bien sûr un renforcement militaire massif à financer. Une armée plus ou moins autonome, des équipements de pointe, des outils de cyberdéfense, nécessiteront un budget bien supérieur aux presque 2 % actuels du PIB. Mais si nous sommes capables de trouver les 5 % requis par l’OTAN, nous pourrions tout aussi bien, même mieux, les consacrer à l’acquisition d’une défense autonome.
Chaque année, 5% de notre PIB pour satisfaire l’OTAN, ce sont des dizaines de milliards d’euros qui partent majoritairement dans les poches de notre Grand Protecteur américain. Tandis que 5 % du PIB consacré à l’acquisition d’une défense autonome, ce sont ces mêmes dizaines de milliards € qui restent majoritairement dans l’économie belge et/ou européenne, ce qui pourra dynamiser à la fois la résilience sociétale et la résilience industrielle de notre pays autour d’une armée (qui jouit déjà d’un capital sympathie certain) rénovée, rajeunie et fortifiée.
En d’autres mots, il s’agit de mettre en balance 5% du PIB qui part en cotisation de membre à l’OTAN, pour une défense collective rendue objectivement hypothétique et sans véritable bénéfice pour notre économie fédérale et/ou régionale, avec 5% du PIB pour développer une autonomie stratégique et industrielle forte et pour renforcer notre souveraineté nationale.
Renforcer la souveraineté de la Belgique
Augmenter sensiblement le budget défense afin de financer des capacités militaires fédérales robustes (du matériel dernier cri, infrastructures, cyberdéfense, capacités spatiales…) implique de renforcer la filière industrielle belge, en développant une industrie de défense innovante, capable de produire localement les équipements essentiels, avec un lien étroit entre secteur public, privé et recherche. Du pur bonheur pour la ré-industrialisation et donc pour l’économie et l’emploi.
La Belgique peut et doit promouvoir des investissements coordonnés européens (PESCO, fonds de défense UE) pour réduire les dépendances extérieures, en incarnant un rôle moteur dans la coopération industrielle et technologique européenne.
« La Belgique affirme sa capacité à protéger ses intérêts stratégiques sans dépendre exclusivement d’alliances extérieures comme l’OTAN. »
En jouant pleinement ce rôle de catalyseur d’une défense autonome et de dynamiseur d’une défense collective européenne, notre pays n’a à craindre ni perte d’influence internationale, ni isolement par rapport aux partenaires occidentaux, ni risque de fragiliser la position géopolitique de Bruxelles.
En fait, une politique de défense autonome pourra avoir un impact significatif sur la position géopolitique de la Belgique, de plusieurs manières. D’abord en renforçant notre souveraineté nationale.
La Belgique affirme sa capacité à protéger ses intérêts stratégiques sans dépendre exclusivement d’alliances extérieures comme l’OTAN. Cette autonomie renforce la crédibilité du pays sur la scène internationale en tant qu’acteur responsable et capable de décider en fonction de ses propres priorités.
Ensuite, en redéfinissant nos relations internationales. Notre pays pourra négocier ses partenariats et alliances de manière plus indépendante, tant avec ses voisins européens qu’avec d’autres puissances mondiales. Cela pourra aussi ouvrir la voie à de nouvelles coopérations bilatérales ou multilatérales, autre que celles dictées par l’OTAN. Cette autonomie permettra de jouer un rôle de médiateur et d’initiateur dans des initiatives diplomatiques ou de paix, en s’appuyant sur une base militaire solide et crédible.
Une ouverture vers l’Europe
Et pourquoi pas une position centrale dans la construction européenne ? Notre Royaume pourra devenir un moteur fort dans la création d’une défense européenne commune et autonome, un enjeu-clé dans la recomposition géopolitique mondiale. La Belgique pourra ainsi accentuer son rôle dans l’Union Européenne, notamment en hébergeant et pilotant des projets industriels, technologiques ou opérationnels au sein de la nouvelle architecture européenne de sécurité et défense.
Enfin, n’oublions pas l’impact sur la diplomatie et la sécurité régionale. Cette autonomie permettra à la Belgique d’adapter plus finement sa politique de défense à sa situation géographique stratégique (au cœur de l’Europe, capitale de l’UE). Elle pourra mieux anticiper et réagir face aux menaces spécifiques à sa région, notamment aux défis émergents comme la cybercriminalité ou le terrorisme.
Et même si quitter le modèle éprouvé de l’OTAN pour le modèle embryonnaire de la défense collective de l’UE induit une fragilisation militaire immédiate, puisque l’armée belge est fortement intégrée aux structures de défense collective de l’Alliance, cette fragilisation ne sera que temporaire et ne nous fera pas courir de grands risques puisque notre situation géographique idyllique (nous sommes entourés de puissances militaires occidentales) nous protège de toute invasion territoriale par des forces armées hostiles russes.
Certes, le coût important d’une autonomie plus ou moins complète peut impacter les priorités économiques et sociales internes. Mais on peut s’inspirer du modèle réussi de résilience sociétale et industrielle d’Israël (un minuscule David face au Goliath d’un Moyen-Orient hostile) ou de la Suède, c’est-à-dire une synergie véritablement fonctionnelle entre économie, industrie et armée.
Carl-Alexandre Robyn, ingénieur-conseil en valorisation de jeunes entreprises
(Photo Belpress : siège de l’OTAN à Evere)