Entre mon arrivée sur place et ma sortie avec un plâtre, près de sept heures se sont écoulées.
Je suis tombé de vélo sur les pavés mouillés autour de la place Sainte-Catherine, en plein centre de Bruxelles. Je n’ai pu m’empêcher de crier très fort, tant la douleur à mon tibia était intense. Cela attira l’attention de quelques touristes de passage qui vinrent immédiatement à mon secours, placèrent mon vélo en sécurité et appelèrent une ambulance.
Celle-ci arriva rapidement. Les ambulanciers, unilingues, me dirent que je pouvais choisir entre deux services d’urgences : celui de l’hôpital Saint-Jean ou celui de Saint-Pierre. Presque aussitôt, une patrouille de deux agents fit son apparition. Apparemment, la police est automatiquement avertie à chaque appel d’ambulance. L’un des agents m’expliqua qu’ils étaient obligés d’établir un procès-verbal qui serait transmis au parquet. Et cela, pour un accident dont je fus le seul impliqué, sans aucune partie adverse. À ma grande surprise, leur premier geste fut de me soumettre à un test d’alcoolémie, qui s’avéra négatif. En tant qu’usager de la voie publique, j’étais obligé de m’y soumettre.
Au total, les agents passèrent deux heures sur cette intervention et rédigèrent un procès-verbal manuscrit totalement inutile, que je dus signer trois fois. Les responsables politiques bruxellois se plaignent sans cesse d’un manque d’effectifs policiers. Quand on pense au nombre d’ambulances qui sortent chaque jour pour toutes sortes d’interventions, on imagine vite combien d’agents sont ainsi mobilisés inutilement, et donc indisponibles ailleurs. Cela me rappela cette fois où une patrouille de trois policiers resta plus de deux heures devant chez moi parce qu’une voiture devait être enlevée.
Arriver en ambulance aux urgences ne donne pas de priorité. L’ambulancier m’avait expliqué que cela ne valait que pour les situations vitales. J’ai été enregistré à 15 heures et des radiographies de ma jambe furent immédiatement réalisées. J’avais été impressionné par cette efficacité et cette rapidité… du moins au début.
Ensuite, on m’abandonna dans un couloir désert. Personne ne m’indiqua quand il se passerait quelque chose. Au-dessus de ma tête, une horloge. Je voyais lentement le temps s’écouler. Le personnel qui passait à proximité m’ignorait. J’étais devenu invisible.
Au bout de deux heures, j’ai pu attirer l’attention d’un jeune infirmier. Il m’annonça que j’allais subir une courte anesthésie aux soins intensifs. Mais pour l’instant, il n’y avait pas de place, car des cas plus graves que le mien étaient traités.
Il revint me dire cela à plusieurs reprises. « Bientôt ce sera votre tour », me dit-il avec enthousiasme. Il me conduisit dans une petite pièce pour me poser une sonde urinaire. Puis il me laissa seul, sur un lit, sans aucun moyen de communication. La sonnette d’appel était rangée bien loin derrière moi, hors de portée. Il était 18 heures.
J’avais mal. J’avais envie d’uriner. Mais personne ne vint me demander de mes nouvelles pendant trois heures. Je commençai à croire qu’on m’avait oublié. Je devenais presque fou. Vers 21 heures, désespéré, je me mis à hurler pour obtenir de l’aide. Une infirmière arriva, mais comme je criais avec une certaine frénésie que je ne comprenais pas le fonctionnement de cet hôpital, elle me menaça d’appeler la sécurité si je ne me calmais pas.
Elle m’expliqua qu’une bagarre au couteau avait éclaté dans la rue Haute et que quatre hommes grièvement blessés occupaient toutes les places disponibles.
Finalement, à 22 heures, on m’amena aux soins intensifs. Quand je me suis réveillé une demi-heure plus tard avec la jambe plâtrée, j’étais de nouveau seul, branché à des fils et entouré de machines clignotantes. Il fallut attendre encore une heure avant que le médecin passe m’annoncer que je pouvais rentrer chez moi. Mais il disparut aussi vite qu’il était arrivé, et je restai une fois de plus seul.
Entre-temps, ma femme avait réussi à me rejoindre. Normalement, ce n’était pas permis, mais grâce à la cohue de la salle d’attente surpeuplée, elle y était parvenue. Elle remarqua que la sonnette d’appel avait été de nouveau rangée soigneusement hors de portée. Après avoir appuyé dessus, il fallut encore un quart d’heure pour qu’une infirmière apparaisse. Une autre, à qui elle avait demandé de l’aide, avait répondu qu’elle n’avait pas le temps pour moi.
Finalement, peu après minuit, je me retrouvai sur le trottoir des urgences, avec des béquilles, soit neuf heures après mon arrivée. Tout le monde fait de son mieux à Saint-Pierre, mais l’organisation et l’empathie envers le patient laissent malheureusement énormément à désirer…
Luckas Vander Taelen , chroniqueur 21News