Le Sénat français tire la sonnette d’alarme. La filière automobile française, colonne vertébrale de l’industrie, est en train de perdre pied. “Si l’on n’intervient pas, c’est tout un écosystème — usines, sous-traitants, emplois qualifiés — qui risque de partir en fumée.”
350 000 salariés. Près de 4 000 sites. Un tiers de la R&D nationale. Autant de chiffres qui suffisent à mesurer l’enjeu. Pourtant, la production en France reste aujourd’hui 40 % en-deçà de son niveau de 2019. Entre la crise sanitaire, la pénurie de semi-conducteurs et le choc énergétique, le secteur a encaissé des coups successifs. Résultat : le marché européen a perdu plus de deux millions de véhicules entre 2019 et 2024. Et l’électrique, promis comme la planche de salut, n’a pas pris la trajectoire espérée — il a même reculé en 2024-2025.
Transition vers l’électrique à marche forcée
Le rapport sénatorial ne mâche pas ses mots : la transition vers l’électrique a été conduite « à marche forcée ». L’interdiction des ventes de véhicules thermiques à l’horizon 2035 – fixée par Bruxelles – pèse lourd. Prise sans études d’impact sérieuses, cette échéance impose des investissements colossaux aux constructeurs, au moment même où le marché se contracte et où le prix du neuf explose.
Pendant ce temps, la Chine avance à grande vitesse. En 2023, elle assurait près des deux tiers de la production mondiale de VE. Ses modèles sont vendus en moyenne 30 % moins cher que les Européens. Les exportations chinoises ont littéralement explosé. Et les gigafactories européennes ont du mal à suivre.
Au-delà de l’économie, il y a la souveraineté. 80 % des batteries utilisées en Europe viennent d’Asie. Les données des voitures connectées sont souvent traitées hors d’Europe. Nombre de sous-traitants automobiles fournissent aussi des secteurs de défense. Perdre la filière, ce n’est pas seulement perdre des emplois : c’est affaiblir notre capacité stratégique.
Le Sénat français propose un plan en trois axes, clair et sans concession.
D’abord, protéger la chaîne de valeur. Les rapporteurs réclament des droits de douane temporaires sur l’ensemble des produits liés au véhicule électrique – pas seulement sur les voitures finies – et un objectif de contenu local de 80 % pour les véhicules vendus en Europe. L’idée : empêcher un décrochage industriel irréversible.
Ensuite, donner du temps à la filière. Les sénateurs demandent de repousser la fin du thermique et d’appliquer la neutralité technologique. Biocarburants, carburants synthétiques, hybrides — tout doit rester sur la table. Ils proposent aussi de créer une nouvelle catégorie de petits véhicules aux exigences allégées pour rendre l’électrique abordable, et d’instaurer un diagnostic batterie certifié pour rassurer le marché de l’occasion.
Enfin, restaurer la compétitivité : réduire le coût du travail et de l’énergie, harmoniser les règles d’investissement dans l’UE, orienter les aides vers la production locale et soutenir les gigafactories en phase d’industrialisation. Et surtout : sanctuariser la R&D — le crédit d’impôt recherche doit rester un pilier.
Le rapport mise aussi sur le logiciel embarqué, un terrain où la France peut reprendre l’initiative. Il préconise d’imposer des transferts de technologie aux industriels extra-européens qui veulent s’installer chez nous, pour garantir échanges et savoir-faire.
Le message est brutal : soit on protège la filière, soit on accepte de l’abandonner. Les rapporteurs, sous la plume de la commission des affaires économiques, lancent un ultimatum politique. Ils appellent l’État et l’Union européenne à agir vite, et en cohérence.
La question pour Paris et la Commission de Bruxelles n’est plus seulement industrielle. Elle est politique. Veut-on rester dépendant d’acteurs extérieurs pour des technologies stratégiques ? Ou accepte-t-on de provoquer la relocalisation et la création d’un vrai écosystème européen du véhicule — batteries, logiciels, usines — capable de tenir tête à la concurrence chinoise ?
Réponse attendue. Et vite. Car pendant que l’on débat, des usines ferment. Des compétences s’envolent. Et la filière, si rien n’est fait, risque de s’éteindre doucement, puis brutalement.
A.G.
(PHOTO / SEBASTIEN BOZON
SEBASTIEN BOZON / AFP)