Une carte blanche de Kamel Bencheikh, écrivain.
L’affaire de Molenbeek est ahurissante et révélatrice d’un problème fondamental dans nos sociétés démocratiques : un échevin, originaire d’un pays d’Afrique du Nord (photo), a été élu alors qu’il ne maîtrise ni le français ni le néerlandais, les deux langues nationales de la Belgique. Comment imaginer que quelqu’un puisse représenter des citoyens, siéger dans une administration, participer aux décisions publiques sans pouvoir échanger dans la langue de ceux qu’il est censé servir ? C’est une anomalie qui va bien au-delà de l’origine ou du parcours personnel : elle touche au cœur du pacte civique.
S’installer dans un pays n’est jamais un acte neutre ni un droit automatique. C’est un engagement, un contrat moral et politique avec la société qui vous accueille. Ce contrat comporte des exigences claires, non négociables. La première est la maîtrise de la langue nationale. Parler la langue du pays d’accueil n’est pas une faveur : c’est le premier geste de respect envers la collectivité. La langue est le lien social, le pont indispensable pour comprendre, échanger, participer au débat public et se situer pleinement dans la société. Sans elle, il n’y a pas de représentation réelle, il n’y a pas de dialogue possible, il n’y a pas d’intégration.
« Une démocratie qui permet à quelqu’un de représenter ses concitoyens sans les comprendre est une démocratie qui trahit ses propres principes. »
La deuxième exigence est la reconnaissance des valeurs fondamentales de la communauté d’accueil. Il ne s’agit pas de renoncer à son identité personnelle, mais de reconnaître que l’on entre dans une communauté politique fondée sur un héritage, des usages et des principes : liberté, égalité, fraternité, laïcité, respect d’autrui, dignité humaine. Ces valeurs sont le socle de la confiance mutuelle et de la cohésion sociale. Les contourner ou les ignorer, volontairement ou par ignorance, revient à affaiblir les fondations mêmes du vivre-ensemble.
La troisième condition est l’acceptation de la loi nationale comme norme suprême de la vie sociale. Choisir de s’installer dans un État démocratique implique que l’on reconnaisse la primauté de la loi civile sur toutes les lois privées ou religieuses dès lors qu’elles entrent en conflit avec l’intérêt général ou les libertés d’autrui. Refuser cette règle, c’est refuser le socle commun qui permet à la société de fonctionner et à chaque citoyen d’être traité sur un pied d’égalité.
Ces exigences ne sont pas des brimades, ni des obstacles arbitraires : elles incarnent un patriotisme universel, un engagement à vivre pleinement dans le pays d’accueil tout en respectant ses règles et ses habitants. S’installer dans un pays n’est pas s’asseoir dans un fauteuil de brasserie et espérer que le monde s’adapte à vous. C’est accepter un pacte, faire preuve de responsabilité envers soi-même et envers ceux qui vous accueillent.
Alors que penser de cet échevin ? Comment expliquer qu’une personne incapable de communiquer dans les langues officielles, ignorante des codes et des principes de la société qui l’a accueillie, puisse exercer des fonctions publiques ? Ce n’est pas seulement un problème de compétence ou de langage : c’est un signal d’alarme sur l’affaiblissement du civisme et du sens du devoir dans certaines institutions locales. Une démocratie qui permet à quelqu’un de représenter ses concitoyens sans les comprendre est une démocratie qui trahit ses propres principes.
La Belgique, comme tout État démocratique, mérite que ceux qui la servent connaissent sa langue, respectent ses valeurs et se soumettent à sa loi. Toute autre posture n’est pas seulement incompréhensible, elle est dangereuse pour le vivre-ensemble. Et si l’on persiste à fermer les yeux, à banaliser ces anomalies, alors la frontière entre citoyen engagé et spectateur passif s’efface, et le pacte civique se délite. L’affaire de Molenbeek devrait être un électrochoc : s’installer dans un pays est un privilège, mais aussi un devoir. La maîtrise de la langue, le respect des valeurs et l’adhésion à la loi ne sont pas des options. Ils sont le minimum indispensable pour que la démocratie fonctionne et que le contrat social ne soit pas vidé de sa substance.
Kamel Bencheikh, écrivain
(Photos : Belgaimage)