Les fusillades ne sont plus des « faits divers ». Elles dessinent une réalité nouvelle : Bruxelles bascule, quartier après quartier, dans une économie parallèle dominée par les trafiquants. On parle d’« Anversisation » de la capitale. La bonne question n’est plus de savoir si Bruxelles risque de devenir une narco-Région. Elle est de savoir si ce n’est pas déjà le cas.
La formule « narco-État » a choqué quand elle a été appliquée à la Belgique. On l’a d’abord lancée à propos d’Anvers, où Bart De Wever, dépassé par la violence des gangs, réclamait l’aide du Fédéral. Trois ans plus tard, c’est Bruxelles qui encaisse. Les fusillades se succèdent, non plus seulement à Molenbeek mais aussi à Anderlecht et Saint-Josse… 117.000 euros ont été saisis lors d’une perquisition à Etterbeek dans un dossier de drogue… Le trafic va-t-il s’étendre bientôt à l’ensemble de la Région bruxelloise ?
Face à l’effondrement, la classe politique repart dans son duel favori : les symboles.
À Anderlecht, on en est revenu au couvre-feu – version « soft », selon le bourgmestre PS Fabrice Cumps, qui admet pourtant son impuissance : « On ne va pas éradiquer le trafic mondial, on veut juste ramener un peu d’apaisement. » Traduction : on ne combat plus le crime, on négocie un cessez-le-feu territorial.
Résultat : fermeture des commerces à 21 h pour contrer les dealers en terrasse, les consommateurs qui sniffent à l’air libre, quarantaine de coups de feu par an… et un collège communal qui prépare déjà la prolongation du couvre-feu jusqu’en février 2026. Comme si la normalité, désormais, c’était l’état d’exception permanent.
Une justice sans budget
Pendant ce temps, le procureur de Bruxelles compte à la fin de l’été 57 fusillades en huit mois, dont 20 cet été. 7.000 suspects interpellés, 1.250 dealers identifiés dont 874 mineurs, mais des moyens policiers toujours en sous-effectif. Le procureur Julien Moinil, menacé par les trafiquants et sous protection policière, a réclamé 10 millions d’euros et la ministre de la Justice, Annelies Verlinden carrément un milliard.
De toute façon, la Région n’a toujours pas de gouvernement après 500 jours simplement parce que le PS bruxellois oppose comme prétexte qu’il ne veut pas de la N-VA au gouvernement et l’Open-VLD refuse de la remplacer par le CD&V.
Face à l’effondrement, la classe politique repart dans son duel favori : les symboles. Le ministre de l’Intérieur propose d’envoyer l’armée. Ses opposants répondent : « Et si on finançait la police avant de militariser les rues ? » Pendant qu’on discute doctrine, les balles sifflent et les habitants rasent les murs puisque « n’importe qui peut recevoir une balle » (dixit le procureur du Roi Moinil).
Bruxelles n’est pas (encore) Medellín. Mais elle coche déjà trois cases :
- un hub logistique (Anvers) qui alimente le marché ;
- des quartiers entiers où la loi est renégociée et adaptée ;
- des responsables publics qui reconnaissent leur impuissance.
Quand les bourgmestres parlent d’« apaisement » plutôt que d’autorité, quand les procureurs réclament des renforts avec gilet pare-balles, quand les dealers filment leurs points de vente pour TikTok, ce n’est plus de l’insécurité : c’est un changement de régime.
La vraie question n’est donc plus : « Bruxelles peut-elle devenir une narco-Région ? » Elle est : qui contrôlera Bruxelles en 2026 : l’État, ou le marché de la drogue ?
Nicolas de Pape
(Photo Belga : Hatim Kaghat)