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Élections aux Pays-Bas : des résultats en trompe-l’œil (Chronique)

par Pascal Lefevre

Les résultats des élections législatives de mercredi dernier aux Pays-Bas, qualifiés par certains de bonne surprise ou de recentrage inespéré du paysage politique néerlandais, attestent en réalité d’une très grande désaffection de nos voisins du Nord pour la politique, ainsi que de la confirmation de la montée des extrêmes. Pas de quoi se réjouir outre mesure, ni d’espérer une réelle meilleure gouvernabilité à terme, à La Haye.

Certes, dans l’immédiat, une coalition centriste, associant D66 (libéraux de gauche), le CDA (démocrates-chrétiens), le VVD (libéraux de droite) et GroenLinks-PvdA (écologistes et sociaux-démocrates), disposant d’une majorité confortable de 86 sièges sur 150 à la Tweede Kamer (l’équivalent de notre Chambre des Représentants), pourrait assurer une plus grande stabilité gouvernementale, après onze mois d’un assemblage chaotique et désastreux entre le PVV (extrême droite), le NSC (nouveau parti de centre droit à sensibilité démocrate-chrétienne), le BBB (mouvement agriculteur-citoyen) et le VVD.

La droite n’a pas dit son dernier mot

Toutefois, ce n’est nullement acquis. En effet, le VVD de Dilan Yeşilgöz, qui, contre toute attente, a limité la casse en ne perdant que 2 sièges, a fait campagne contre une collaboration de son parti avec la gauche écologiste et sociale-démocrate de Frans Timmermans (GroenLinks-PvdA). Une majorité alternative de droite n’est donc pas à exclure, réunissant par exemple le PVV (parti d’extrême droite de Geert Wilders), JA21 (droite radicale), le FVD (autre parti d’extrême droite), le VVD, et le CDA, soit au total 82 sièges.

Par ailleurs, malgré une perte sèche de 11 sièges, le PVV de M. Wilders demeure — quasiment à égalité — le premier parti des Pays-Bas avec D66, qui ne le devance que de quelques milliers de voix, et ce recul est largement compensé par la progression de deux autres formations d’extrême droite ou de droite radicale, JA21, qui passe de 1 à 9 sièges, et le FVD, qui progresse de 3 à 7 sièges.

À cela s’ajoute qu’aux Pays-Bas, on est depuis longtemps habitué à une très grande volatilité de l’électorat d’une élection à l’autre. En témoigne notamment la disparition totale du Parlement du NSC, qui s’était présenté pour la première fois lors du dernier scrutin de 2023 et avait alors engrangé 20 sièges d’un coup. Que dire du grand vainqueur actuel, D66, abonné depuis sa création en 1966 à des résultats en dents de scie ? Lors des élections de 2023, le parti avait subi une lourde défaite, chutant de 24 à 9 sièges, avant de remonter mercredi à 26 sièges. Il en va de même du CDA : 15 sièges en 2021, 5 en 2023 et désormais 18 en 2025.Tout cela en un laps de temps remarquablement court.

Des électeurs imprévisibles

Or, la versatilité des électeurs néerlandais est tout sauf un gage de stabilité ; elle traduit en réalité un comportement de rupture, nourri par la méfiance croissante d’une écrasante majorité de Néerlandais à l’égard de la politique, estimée actuellement à environ 60 %1.

D’un autre côté, aux Pays-Bas comme ailleurs, les résultats électoraux sont fortement influencés par la communication — la com —, les punchlines et le charme exercé, le cas échéant, par tel ou tel dirigeant politique du moment.

Le probable futur Premier ministre, le jeune (38 ans), beau et élégant Rob Jetten (D66), y a eu largement recours. Il a notamment bénéficié du soutien actif de plusieurs influenceurs sur les réseaux sociaux — notamment sur TikTok — générant des centaines de milliers de vues et de partages. Son slogan de campagne « Het kan wél » (un « Yes, we can », version batave), associé à un message résolument positif, s’est révélé particulièrement percutant.

La forme supplante le fond. L’emballage prime sur le contenu. Avec, pour conséquence, des déceptions à la hauteur du cadeau espéré.

Outre une campagne jugée décevante par certains, perçue comme parfois trop « intellectuelle » par d’autres, le vieillissant, moins fringant, et pourtant intelligent Frans Timmermans, leader de GroenLinks-PvdA et ancien Commissaire européen, en a amèrement fait les frais, alors que la gauche néerlandaise pensait être sur du velours après l’échec du gouvernement de droite dirigé par Dick Schoof. Son attelage est amputé de 5 sièges et l’extrême gauche du SP ne conserve plus que 3 sièges.

Le système de représentation proportionnelle intégrale, tel qu’il est appliqué aux Pays-Bas, avec une liste nationale de candidats, ne favorise pas non plus la fidélité électorale. Pas de seuil ou de « Sperrklausel » de 5 % comme en Belgique ou en Allemagne. Il suffit dès lors d’obtenir environ 0,67 % des suffrages, soit 1/150ᵉ des voix, pour décrocher un siège. Pas moins de quinze partis sont ainsi représentés au Parlement, dont neuf recueillent moins de 5 % des suffrages — parmi lesquels sept en obtiennent moins de 3 %.

Enfin, peut-on véritablement faire la fête — comme on a pu le voir le soir des élections dans certains états-majors politiques — lorsque, pour la première fois dans l’histoire politique des Pays-Bas, le plus grand parti, D66, ne parvient qu’à recueillir 16,9 % des voix, soit le score le plus faible jamais réalisé par un parti arrivé en tête ?

L’issue du scrutin législatif néerlandais, considérée rassurante par certains, pourrait en définitive n’être qu’un écran de fumée, voire un véritable trompe-l’œil. Rob Jetten, s’il a la main, aurait tout intérêt à ne pas le sous-estimer.

Pascal Lefèvre – Chroniqueur politique

(Photo : Robin Utrecht / ANP / AFP)

  1. Sondage du Sociaal en Cultureel Planbureau, publié le 20 octobre 2025 et rappelé lors de la soirée électorale sur la chaîne NOS. ↩︎

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