Chaque rentrée scolaire à Bruxelles met au jour une fracture éducative aussi criante que honteuse, un retour de flamme en plein visage de notre société — et, surtout, de ceux qui nous gouvernent. Dans les communes les plus précarisées — Saint‑Josse‑ten‑Noode, Molenbeek, Anderlecht — on observe un taux de redoublement oscillant entre 45% et 56.58%, tandis que dans des communes comme Woluwe-Saint-Pierre ou Kraainem, où le risque de pauvreté plafonne à 6 %, ce phénomène reste anecdotique. Il ne s’agit pas d’un simple écart statistique, mais de la preuve accablante d’un système scolaire et social défaillant, qui laisse les enfants les plus vulnérables s’enliser dans une spirale de redoublements, de décrochage et d’exclusion, sans perspective de sortie.
Ce constat, au-delà de l’indignation morale, est un poison corrosif pour l’équilibre de Bruxelles. Ces enfants entrent déjà « handicapés » par des obstacles invisibles — stress familial, logement insalubre, malnutrition, manque de soutien à la maison — des réalités documentées dans les rapports de la Brussels Platform Armoede, selon laquelle un Bruxellois sur trois vit sous le seuil de pauvreté. Le redoublement, ici, n’est pas un temps de remise à niveau : c’est la marque d’un système rigide et impitoyable qui inscrit l’échec dès le plus jeune âge sans offrir de réelle issue.
Chaque redoublement est un nouvel échec
Le coût humain et budgétaire de cette inertie est vertigineux. Chaque élève « retardé » pèse sur les finances publiques — remédiation, accompagnement psychosocial, soins de santé. Une fois adultes, ces jeunes arrivent sur le marché du travail peu qualifiés, nourrissant chômage structurel et dépendance sociale. À l’échelle régionale, cela asphyxie l’économie : les talents n’émergent pas, les entreprises manquent de main-d’œuvre qualifiée, l’innovation stagne.
Mais l’enjeu dépasse l’école : il s’agit de la gouvernabilité même de la Région. En injectant des sommes colossales dans des solutions palliatives, on accepte tacitement la fragmentation territoriale. Les communes les plus pauvres supportent l’essentiel du fardeau — lutte contre le décrochage, aides sociales, repas scolaires — pendant que les communes plus aisées bénéficient d’un faible taux de pression fiscale et de ressources abondantes. Résultat : des budgets communaux asphyxiés, des projets régionaux paralysés, une vision métropolitaine qui s’effiloche au profit de replis identitaires. La concentration de la pauvreté dans le « croissant pauvre » hypothèque gravement la capacité à gouverner Bruxelles demain.
Le PS porte une immense responsabilité dans cet échec
Le verdict est limpide. La responsabilité politique aussi. Depuis plusieurs décennies, le portefeuille de l’Enseignement obligatoire en Fédération Wallonie-Bruxelles a été accaparé par des ministres du Parti socialiste — de Yvan Ylieff à Laurette Onkelinx, en passant par Christian Dupont, Marie Arena et Caroline Désir. Tous ont échoué à enrayer la spirale de l’échec scolaire et de l’inégalité sociale. La responsabilité du PS dans le drame éducatif bruxellois est immense. Il ne s’agit pas ici de juger des personnes, mais de dénoncer l’idéologie d’un parti qui a trop longtemps défendu des dogmes périmés — redoublement par défaut, uniformité des programmes — et refusé toute réforme structurelle. Une inertie confortable, mais tragique. Célébrer la méritocratie tout en abandonnant les plus faibles à un système qui les écrase est un échec magistral.
Depuis le 16 juillet 2024, Valérie Glatigny (MR) est à la barre. Sa mission est herculéenne : repenser l’enseignement francophone à Bruxelles, rompre avec la mentalité du laisser-faire, quitter les sentiers battus du passé. Réformer sérieusement, c’est remettre en question le système dans son ensemble et oser un pilotage fondé sur des données probantes.
« Tant que l’échec scolaire restera concentré dans certains quartiers, c’est tout le projet bruxellois qui vacillera. »
Aujourd’hui, Bruxelles ne peut plus détourner le regard. Il faut briser le cercle vicieux par une refonte ambitieuse : une péréquation des moyens, avec dotation renforcée pour les communes défavorisées ; un accompagnement global dès la maternelle — scolaire, médical, alimentaire, psychosocial ; un corps enseignant spécialisé, formé et valorisé pour les quartiers prioritaires ; une stratégie urbaine intégrée articulant éducation, logement, mobilité, santé et sécurité.
Ce diagnostic accablant n’est pas nouveau. Déjà Aristote écrivait dans La Politique : « La misère engendre les discordes civiles et les crimes. » Et Victor Hugo déclarait en 1849 : « Je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère. » Deux millénaires les séparent, mais leur appel résonne avec une acuité glaçante dans le Bruxelles d’aujourd’hui. Tant que l’échec scolaire restera concentré dans certains quartiers, c’est tout le projet bruxellois qui vacillera.
Il est temps d’engager une véritable révolution éducative. Comme le disait Jean Jaurès : « Il ne peut y avoir de révolution que là où il y a conscience. » Pour cela, trois leviers s’imposent : une meilleure allocation des fonds publics, des indicateurs de performance contraignants, et un pilotage métropolitain assumé. Il faut exiger la mise en place, dès 2026, d’un fonds d’urgence éducatif pour les communes les plus fragilisées, la création d’une task force conjointe citoyenne et ministérielle, et des écoles-pilotes dès la rentrée prochaine. Le tout assorti d’une évaluation annuelle rigoureuse — baisse du redoublement, amélioration nutritionnelle, renforcement du soutien familial.
Les solutions sont là, les ingrédients d’un plan efficace sont connus. Ce qui manque, c’est la volonté politique.
À vous, Madame la Ministre, de choisir : devenir l’artisane du redressement ou la caution d’un effondrement annoncé. Car créer l’égalité des conditions n’est pas un luxe : c’est une urgence citoyenne.
Fouad Gandoul, chroniqueur 21News
(Photo d’illustration : Belgaimage)