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L’université n’est pas une entreprise. Réponse à ceux qui confondent savoir et rendement (Carte blanche)

par Contribution Externe

Une carte blanche de Geoffrey Hiersoux, citoyen.

Dans une récente carte blanche, Xavier Corman a défendu l’idée d’une tarification universitaire “honnête”, où chaque étudiant paierait le coût réel de sa formation au nom de la responsabilité individuelle.

Mais derrière cette apparente franchise économique se cache une conception profondément réductrice de l’université : celle d’un marché où le savoir devient un produit, et où l’avenir se finance à crédit.

L’enseignement supérieur n’est pas un investissement privé, c’est un bien commun. Le financer collectivement, ce n’est pas entretenir une illusion, c’est maintenir le pacte social qui permet à une société de ne pas trier sa jeunesse selon ses moyens ou ses dettes.

  • Sur le fond économique : une simplification trompeuse

Xavier Corman présente l’université comme un investissement individuel à rendement élevé. C’est partiellement vrai : un diplôme augmente en moyenne les revenus futurs. Mais il oublie, délibérément ou non, que l’enseignement supérieur génère aussi des bénéfices collectifs : innovation, santé publique, productivité, culture démocratique, cohésion sociale, etc.

Autrement dit : tout le monde profite de citoyens éduqués, même ceux qui ne sont pas allés à l’université. Réduire l’université à un produit financier, c’est nier cette dimension de bien commun. C’est une conception purement utilitariste, où la valeur du savoir n’existe que par son rendement économique — ce qui est une vision marchande de la connaissance.

  • Sur le plan moral et social : une inversion perverse de la solidarité

L’argument de la “redistribution à l’envers” (du maçon vers l’étudiant futur cadre) est séduisant rhétoriquement, mais il est sociologiquement faux. Les impôts ne servent pas qu’à financer les universités : ils financent aussi la santé, les retraites, la sécurité sociale — dont bénéficient tous, y compris les diplômés qui paieront ensuite plus d’impôts en retour.

Le système est circulaire : un étudiant pauvre d’aujourd’hui, financé par les impôts, deviendra peut- être le contribuable de demain qui financera les enfants des maçons. C’est le principe même de la solidarité intergénérationnelle.

Xavier Corman inverse cette logique et la remplace par une (ou donne l’illusion d’une) vision où chacun ne paierait que pour soi — autrement dit, une société sans solidarité, gouvernée par lecrédit et la dette.

  • Sur le plan idéologique : l’illusion du mérite pur

Proposer de remplacer les subventions par des “bourses au mérite” paraît juste — mais c’est vite oublier que le mérite n’a jamais été et ne sera jamais égalitaire. Il dépend du milieu social, du capital culturel, du logement, de la santé, etc.

Faire du mérite le critère unique revient à récompenser ceux qui ont déjà les conditions de réussir, et à exclure silencieusement les autres. C’est une forme d’eugénisme social, qui trie les individus par performance dès leur plus jeune âge.

  • Sur la rhétorique : un discours de “vérité” au service du marché

Xavier Corman se place du côté de la lucidité : “dire la vérité”, “sortir du mensonge collectif”. C’est une stratégie rhétorique classique du libéralisme moral : présenter la marchandisation comme une vérité crue que seuls les “matures” acceptent, et présenter la solidarité comme une illusion infantile.

C’est une inversion morale : ce n’est plus la société qui soutient ses jeunes, c’est l’individu qui doit “prouver sa valeur” pour mériter d’exister.

En résumé, ce texte n’est pas une analyse économique neutre. C’est la manifestation d’une idéologie néolibérale, qui camoufle une logique de privatisation sous un discours de “responsabilité”. Il confond justice et rendement, égalité des chances et sélection par la dette.

La vraie question n’est pas : “Combien coûte un étudiant ?” mais plutôt : « Quelle société voulons-nous construire avec eux ?”

Geoffrey Hiersoux, citoyen

(Photo d’illustration Belga : Benoît Doppagne)

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