Sénatrice centriste de l’Orne (Normandie) et spécialiste reconnue des questions financières et sécuritaires, Nathalie Goulet a été rapporteur d’une importante commission d’enquête du Sénat français consacrée à la criminalité organisée et à ses circuits financiers. Elle détaille ici l’ampleur des flux criminels, leurs conséquences sur l’économie et la sécurité, ainsi que les outils qui pourraient rendre la lutte plus efficace. Elle appelle à former et fidéliser des enquêteurs spécialisés, décloisonner les services, renforcer la coopération européenne – y compris via le Parquet européen – et adopter de nouveaux outils législatifs comme la présomption d’enrichissement illicite.
21News : Pourquoi ce rapport et pourquoi maintenant ?
Nathalie Goulet : Depuis des années, je travaille sur les questions financières, en particulier le financement du terrorisme et le blanchiment. Au fil de ces enquêtes, nous avons constaté que les circuits criminels sont interconnectés : drogue, contrefaçon, trafic d’êtres humains, fraude sociale, cybercriminalité… Il ne s’agit plus de filières isolées mais d’une véritable “internationale du crime”. D’où la nécessité de dresser un état des lieux complet et d’identifier des leviers d’action concrets.
21news : Quels montants sont en jeu ?
N.G. : Dans le monde, la criminalité organisée représente entre 3 et 5 % du PIB, soit entre 2.000 et 5.000 milliards de dollars. Pour la France, nous estimons ce chiffre à environ 50 milliards d’euros par an. C’est colossal : l’équivalent du budget d’un grand ministère. C’est surtout une manne financière qui échappe totalement à l’État et qui nourrit la corruption, déstabilise notre économie et parfois finance directement le terrorisme.
21news : Quelles sont les principales sources de cet argent “sale” ?
N.G. : On pense spontanément à la drogue, mais ce n’est pas le premier poste. La contrefaçon génère deux fois plus de revenus, tout comme le trafic de migrants. Viennent ensuite le trafic d’or, les escroqueries cyber-financières, les fraudes sociales et fiscales. Ces fonds criminels servent ensuite à trois choses : l’enrichissement personnel, l’investissement dans d’autres filières illégales (traite d’êtres humains, prostitution, esclavage sexuel…) et, dans certains cas, le financement du terrorisme. Enfin, il faut “blanchir” cet argent, c’est-à-dire le réinjecter dans l’économie légale, ce qui se fait via un éventail impressionnant de techniques financières.
21news : Votre rapport insiste sur la complexité du phénomène du blanchiment et la nécessité d’unités spécialisées.
N.G. : Exactement. Ces réseaux sont pluridisciplinaires. Un groupe peut faire du trafic de migrants tout en blanchissant via des entreprises de BTP et en écoulant de la contrefaçon. Si l’on n’aborde pas le problème de manière globale, on passe à côté de l’essentiel. Et surtout, nous avons aujourd’hui un déficit majeur d’enquêtes patrimoniales : nous poursuivons des infractions, mais nous nous attaquons trop peu à l’argent. Résultat : seuls 2 % des avoirs criminels sont effectivement récupérés.
21news : Vous donnez l’exemple d’un criminel qui, depuis sa cellule, achetait un bien immobilier à Dubaï…
N.G. : Oui, aux Baumettes, depuis son téléphone portable, en crypto-monnaie. Il avait été condamné, mais il continuait de profiter du produit de ses crimes. C’est une aberration absolue.
« J’envie votre Banque carrefour de la sécurité sociale et des entreprises. Je rêve de mettre cela en place en France ».
En Belgique, vous avez un truc formidable, vous avez une Banque carrefour de la sécurité sociale et la Banque carrefour des entreprises. Ça évite la fraude sociale et ça évite les « entreprises éphémères » dont je parle beaucoup. C’est mon rêve absolu de mettre ça en place en France. 500.000 personnes y utilisent encore leurs droits à la sécurité sociale après que leur titre de séjour a expiré.
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