L’un des événements politiques de cet automne a été la présentation du livre Het Betonnen Beleid (« La politique bétonnée ») par le jeune juriste Quinten Jacobs, mardi soir dernier au Théâtre royal flamand (KVS) à Bruxelles. Ceux qui souhaitent comprendre d’où viennent certaines idées qui ne manqueront pas d’apparaître dans le discours politique flamand ne pourront pas ignorer ce petit ouvrage, même en Belgique francophone.
Avant même sa parution, chaque journal flamand digne de ce nom avait publié un long article ou une interview avec l’auteur. Pourtant, il s’agit d’un jeune auteur, et c’est son premier livre — un livre sur la politique, de surcroît. Le fait que Jacobs soit assistant à la faculté de droit de l’université de Louvain n’y change pas grand-chose. Il n’est pas non plus bruyant sur les réseaux sociaux. Il écrit régulièrement une chronique dans le journal De Tijd, mais cela ne suffit pas à en faire une célébrité ou une figure notoire.
Les mauvaises langues attribueront peut-être le succès et l’attention médiatique à son éditeur, Karl Drabbe, l’un des rares éditeurs prospères qui ose encore publier des projets plus difficiles sur l’histoire et la politique. Ce qui contraste fortement avec les habituels livres politiques dont tout le tirage est racheté par le cabinet d’un ministre (souvent écrit avec un ghostwriter), ou dont la moitié des exemplaires est financée par le budget personnel d’un député.
Le mérite principal de ce livre réside d’abord dans son authenticité, ensuite dans la profondeur de la réflexion d’un universitaire à temps partiel de seulement 26 ans. Un ouvrage qui propose une analyse et une philosophie politique pour sortir de l’impasse politique représente un vrai défi, mais son timing semble parfait.
Le fait que l’ancien ministre-président flamand Geert Bourgeois (N-VA) et d’autres hommes politiques comme Benjamin Dalle (CD@V) ou Frederik De Gucht (Open-VLD) aient acheté une place et un livre pour cette présentation était peut-être moins significatif que la présence de la quasi-totalité des dirigeants de nombreux groupes de pression politiques flamands. Normalement, ce genre d’événement attire surtout un public d’hommes blancs plus âgés, mais mardi soir, on comptait aussi de nombreux étudiants universitaires et jeunes professionnels. Avec plus de 200 participants, la salle affichait complet depuis plusieurs semaines.
Le constitutionnaliste trilingue Christian Behrendt, professeur aux universités de Liège et de Louvain, a livré une présentation particulièrement vivante, parfois humoristique, mais surtout très pertinente de sa lecture du livre de Quinten Jacobs. Il a souligné les trois causes principales de l’impasse politique selon l’auteur : la fédéralisation, l’Union européenne et les droits de l’homme tels qu’interprétés par les juges. Il a confirmé que sans la fédéralisation, notre pays n’existerait sans doute plus, que sans l’UE notre économie serait peut-être insignifiante, et que sans les droits de l’homme, personne ne voudrait probablement vivre ici.
Même s’il ne partageait pas les solutions proposées, le professeur a salué le courage et l’honnêteté intellectuelle nécessaires à l’écriture du livre. Il a ajouté ensuite que la partie juridique de l’ouvrage était très solide, ce qui est essentiel quand on parle de complexité institutionnelle.
L’auteur, Quinten Jacobs, a lui-même longuement parlé de son livre, interrogé par le journaliste politique de la VRT Ivan De Vadder. Après avoir passé en revue les thèmes principaux, la directrice de la rédaction de De Tijd et L’Echo, Isabel Albers, ainsi que l’ancien homme politique et président du Conseil européen Herman Van Rompuy (CD@V) ont rejoint la scène pour un petit débat.
Jacobs a rapidement convaincu Albers, tandis que Van Rompuy répétait que les réformes institutionnelles (dont il en a négocié trois) ou les réformes de l’Union européenne n’étaient pas une bonne idée à l’heure actuelle. Pourtant, la perspective d’une prochaine — et donc septième — réforme de l’État semble bénéficier du soutien de presque tous les partis politiques flamands.
Jacobs a aussi donné une explication très actuelle concernant les quatre facteurs à la base de l’étouffement budgétaire du gouvernement fédéral : les charges d’intérêts, la sécurité sociale, les transferts financiers vers les Régions et Communautés, et enfin les dépenses primaires, dont la défense occupe une part de plus en plus importante.
Het Betonnen Beleid, sous-titré Waarom politici onze problemen niet kunnen oplossen (« Pourquoi les politiciens ne peuvent pas résoudre nos problèmes »), est déjà considéré comme le livre politique le plus important de 2025, et sa présentation fut un véritable who’s who de la politique flamande. Ceux qui suivent le débat politique du côté néerlandophone feraient bien de s’en procurer un exemplaire, car nombre des analyses qu’il contient referont sans doute surface dans le discours politique des prochains mois.
Lode Goukens
(Photo (c) An Clapdorp/Ertsberg)
