Une carte blanche d’Alain Destexhe, sénateur honoraire.
La polémique autour de la promotion de Rima Hassan à l’ULB a révélé une mécanique bien connue : celle d’un système universitaire et militant qui préfère l’indignation à la discussion. En désignant un bouc émissaire – en l’occurrence moi – il évite de se confronter à ses propres contradictions. Cette tribune revient sur les étapes de cette mise en scène, et sur le rôle que j’ai joué, malgré moi, dans le théâtre de l’indignation.
L’affaire Rima Hassan et la réaction de l’Université libre de Bruxelles (ULB) illustrent une mécanique bien rodée : comment le système – dans ce cas l’ULB et ses affidés – réagit lorsqu’un fait ou une analyse dérangent. Le système ne débat pas, il déforme les propos, refuse la discussion, renvoie à l’extrême droite ou aux « heures les plus sombres ». Ce schéma s’est appliqué à la lettre à mon tweet mentionnant les prénoms d’étudiants en Master de droit à l’ULB, dont plusieurs étaient d’origine arabo-musulmane, pour expliquer le vote en faveur de Rima Hassan.
Ce post sur X, comme tant d’autres, aurait pu passer inaperçu. En moyenne, mes publications atteignent quelques milliers de vues. Celui-ci a été vu plus de 350.000 fois. Pourquoi ? Parce que les militants de gauche, qui donnent le la au système, ont eux-mêmes amplifié sa portée, créant le scandale qu’ils dénoncent. Ce sont eux qui ont fabriqué l’indignation.
Très vite, on m’a accusé d’avoir dressé une « liste », comme si j’avais voulu envoyer ces étudiants à Auschwitz ou, dans leur cas, à Gaza sous les bombardements israéliens ! Le mot « liste », sorti de son contexte, déclenche un réflexe pavlovien qui inhibe toute réflexion. Pourtant, des listes, il y en a partout : dans les journaux, les classements, les inscriptions. Mais ici, le mot devient un cri d’horreur et de ralliement. Des centaines de post X mentionnaient des listes de NOMS avant que la meute des réseaux ne change de cap et découvre l’existence des PRÉNOMS, sans que cela change quoi que ce soit à la gravité du crime.
Des milliers de petits Fouquier-Tinville
Puis, l’interprétation a évolué : je voudrais maintenir les étudiants musulmans dans des fonctions subalternes; cela me gênerait qu’ils fassent des études. Un esprit honnête ou simplement logique pourrait convenir que cela n’a rien à voir et que cette interprétation relève de la psychanalyse. Peu importe : comme au Tribunal révolutionnaire, il n’y a ni preuve, ni débat. Des milliers de petits Fouquier-Tinville se transforment en accusateurs publics, la rage aux doigts tapotant frénétiquement sur leur clavier.
Ensuite, la rectrice Annemie Schaus m’attribue l’intention de ruiner leur carrière. Là encore, aucune citation, aucun fait, aucune explication. Juste une gradation dans l’indignation. Quand la meute enragée est lâchée, il est inutile d’argumenter. Le but est de tuer symboliquement l’auteur de la transgression. Ce qui est aussi frappant, c’est que personne ne m’a accusé de mensonge.
Enfin, dernière étape : on convoque les « heures sombres », « les passions tristes », que mon tweet rappellerait. Nulle interrogation, en revanche, sur les manifestations antisémites sur le campus de l’ULB qui, elles, rappellent vraiment les années 30.
René Girard et le bouc émissaire
René Girard a théorisé le phénomène du bouc émissaire dans ses ouvrages majeurs, La violence et le sacré et Des choses cachées depuis la fondation du monde. Il explique comment les sociétés canalisent leur violence sur un individu désigné comme bouc émissaire. Ce mécanisme n’est pas réservé aux sociétés primitives : il est à l’œuvre dans nos démocraties modernes. Dans cette affaire, j’ai joué le rôle du bouc émissaire, du méchant dans les contes pour enfant.
La promotion de Rima Hassan, militante d’extrême gauche, a suscité un malaise réel au sein de l’université et au-delà. La Libre, par exemple, a dénoncé ce choix. Mais plutôt que d’affronter les tensions internes, l’ULB a trouvé plus commode de se rassembler dans la condamnation d’un tweet. Le méchant était tout trouvé : moi. Selon Girard , « Il y a la tendance, universelle chez les hommes, à décharger leur violence accumulée sur un substitut, sur une victime de rechange. Partout et toujours, lorsque les hommes ne peuvent pas ou n’osent pas s’en prendre à l’objet qui motive leur colère, ils se cherchent inconsciemment des substituts – et le plus souvent, ils en trouvent. »
David contre Goliath
L’accusation est celle d’incitation à la haine, assimilée à un crime contre l’humanité. Mais où est la haine et qui la met en scène ? Ce sont les réactions à mon tweet qui ont été d’une violence extrême, parfois à la limite de l’appel à l’extermination. D’un côté, un ancien parlementaire, sans structure, avec pour seul outil un compte X. De l’autre, une institution de 40.000 étudiants, des centaines de professeurs, un budget de plusieurs centaines de millions d’euros, et des relais partout dans le système. Qui est David ? Qui est Goliath ?
J’ai écrit une quinzaine de livres, tenu un blog pendant dix ans, publié des centaines d’articles. Jamais on ne m’a reproché de propos racistes ou discriminatoires. Et pourtant, sur la base d’un tweet qui dit ce qu’il dit – et rien d’autre – le système me catalogue … définitivement.
Ainsi soit-il ! Je ne me pose pas en victime. Je suis plus fort que l’ULB, sa machinerie, son conformisme, ses réseaux et je me battrai à un contre mille s’il le faut. Personne ne m’empêchera de dire que l’ULB, autrefois bastion du libre examen, est devenue une institution qui honore une antisémite, tolère la montée de l’islamisme et où la pensée critique est remplacée par l’indignation militante.
Mais force est de constater qu’en m’attribuant le rôle du « méchant », l’ULB a trouvé une fonction bien utile à ma présence : détourner l’attention, ressouder les rangs, et éviter de regarder en face ses propres dérives.
Alain Destexhe, Sénateur honoraire
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