Accueil » Le discours victimaire comme arme fatale (Carte blanche)

Le discours victimaire comme arme fatale (Carte blanche)

par Contribution Externe

Par Kamel Bencheikh, écrivain

Le mot « victime » est l’un des plus puissants de notre vocabulaire politique. Il suscite une émotion immédiate, une empathie instinctive. Être victime, c’est être du côté du juste, c’est avoir droit à la protection, à la réparation. Mais depuis plusieurs années, cette force a été détournée, pervertie, instrumentalisée par les islamistes et leurs alliés. Le discours victimaire est devenu leur arme la plus redoutable, plus efficace encore que les attentats, plus corrosive que la propagande : il anesthésie les consciences, désarme les institutions et réduit au silence ceux qui voudraient dénoncer la réalité.

Car comment critiquer, quand toute critique est assimilée à une agression ? Comment nommer l’idéologie islamiste, quand on vous répond toujours qu’il s’agit d’une « stigmatisation des musulmans » ? Comment rappeler la laïcité, quand on vous accuse aussitôt d’« islamophobie » et de racisme ? Le piège est redoutable : quiconque ose pointer du doigt l’offensive religieuse est transformé en bourreau, et quiconque cherche à imposer des règles communes est décrit comme un oppresseur.

À Molenbeek, des élues brandissent leur voile comme un étendard identitaire, et quiconque ose rappeler la neutralité de l’espace public est renvoyé à son « racisme ».

Le mot « islamophobie » est à lui seul l’emblème de ce discours victimaire. C’est le chantage permanent à l’islamophobie. Ce mot est brandi comme une massue, dans le débat public, pour intimider, faire taire, délégitimer. Bien sûr, il existe des actes de haine contre des musulmans, et ils doivent être poursuivis et condamnés. Mais le terme « islamophobie », tel qu’il est utilisé, n’a pas ce sens. Il ne désigne pas des violences physiques ou des discriminations réelles ; il désigne la critique des dogmes, des pratiques, des dérives. Autrement dit : ce que la laïcité protège et garantit depuis 1905.

Le Collectif contre l’islamophobie en France a été le grand maître de cette instrumentalisation. Dissous en 2020 par le gouvernement français, le CCIF avait réussi, pendant des années, à imposer son vocabulaire, à culpabiliser les institutions, à intoxiquer les médias. Toute loi laïque devenait « islamophobe ». Toute défense de la neutralité scolaire devenait « islamophobe ». Le simple rappel que le voile est un symbole d’infériorité des femmes devenait « islamophobe ». Et ce discours, hélas, a trouvé des relais jusque dans la gauche européenne. Le défilé honteux du 10 novembre 2019, organisé par le CCIF à Paris, place de la République, en fut l’apothéose : on y voyait des élus de La France insoumise défiler main dans la main avec des islamistes, accusant la République de persécuter.

La logique victimaire ne s’arrête pas aux associations militantes. Elle s’invite dans les institutions, dans les universités, dans les collectivités locales. À Molenbeek, des élues brandissent leur voile comme un étendard identitaire, et quiconque ose rappeler la neutralité de l’espace public est renvoyé à son « racisme ». Dans certaines villes françaises – Stains, Roubaix, Trappes – certains élus locaux ferment les yeux sur les dérives communautaires de peur d’être accusés de « stigmatiser ». L’arme victimaire est si puissante que même les responsables politiques préfèrent se taire plutôt que de risquer d’être cloués au pilori. C’est l’extension du domaine victimaire.

Dans les universités, la mécanique est identique. À Sciences Po Paris, des collectifs étudiants se présentent comme les « victimes » d’un système oppressif, et en profitent pour interdire des conférences, empêcher des débats, faire taire des enseignants. À l’Université libre de Bruxelles (ULB), des promotions choisissent de porter le nom d’élues qui ont voté contre la libération de Boualem Sansal, en présentant ce choix comme un geste « anticolonial » – comme si soutenir un écrivain menacé par l’islamisme était en soi une offense aux « opprimés ». On inverse les rôles : le dissident, menacé de mort, devient l’oppresseur ; l’idéologue, qui impose le silence, devient la victime.

Kamel Bencheikh, écrivain

(Photo Hans Lucas Collection : marche contre l’islamophobie, Paris, 11 mai 2025)

You may also like

Êtes-vous sûr de vouloir débloquer cet article ?
Déblocages restants : 0
Êtes-vous sûr de vouloir annuler l'abonnement ?