Le Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP) tire la sonnette d’alarme. Dans une analyse fouillée des résultats du scrutin du 9 juin 2024, le politologue David Van Den Abbeel met au jour une série d’erreurs — voire de bizarreries statistiques — dans les résultats communaux wallons.
Mauvaise attribution d’urnes, votes surnuméraires ou bulletins manquants : les défaillances du dépouillement ont concerné près d’une quarantaine de communes, dont Châtelet, Hannut, Étalle, Frameries ou Couvin. Autant de cas qui invitent à la prudence avant d’interpréter les tendances électorales locales.
Depuis 2014, les résultats des élections fédérales, européennes et régionales sont publiés au niveau communal, une avancée démocratique censée rapprocher les citoyens des urnes. Mais pour le CRISP, cette belle promesse s’effrite à la lumière des faits.
« Les chiffres officiels donnent parfois l’illusion d’une précision scientifique, mais ils reposent sur un dépouillement humain, fragile et perfectible », souligne David Van Den Abbeel, auteur du Courrier hebdomadaire n° 2650.
À partir de milliers de procès-verbaux, il a analysé les quatre scrutins du 9 juin – européen, fédéral, wallon et flamand – et décelé 32 anomalies significatives. Certaines sont mineures ; d’autres rendent les résultats « tout simplement inexacts ».
Le chercheur parle d’un « miroir déformant de la démocratie ».
« Lorsqu’une commune affiche un taux de participation de 175 % ou de 47 %, il ne s’agit évidemment pas d’un comportement électoral atypique, mais d’un problème de méthode », insiste-t-il.
Des erreurs de dépouillement à répétition
Les défaillances les plus fréquentes tiennent à la mauvaise attribution des urnes entre communes voisines ou à l’assignation erronée des bureaux de dépouillement. Dans d’autres cas, des votes ont tout simplement disparu ou, au contraire, été comptés deux fois.
Le canton de Châtelet illustre la gravité du phénomène : ses urnes ont été redistribuées de travers entre Aiseau-Presles, Farciennes, Fleurus, Gerpinnes et Châtelet. Résultat : impossible de savoir avec exactitude combien d’électeurs ont réellement voté dans chaque commune.
« Ce n’est pas une fraude, mais une désorganisation », nuance Van Den Abbeel. « Les totaux de canton sont bons, mais la ventilation locale ne l’est pas. Et c’est précisément celle que les chercheurs, les journalistes ou les partis utilisent pour analyser le vote wallon. »
À Hannut, le problème est similaire : des urnes ont été attribuées aux mauvaises communes, inversant les taux de participation entre Braives, Lincent et Wasseiges. Le record : Lincent, 175 % de participation, un chiffre évidemment absurde.
À Frameries, un millier de bulletins ont disparu ; à Grammont, deux urnes n’auraient jamais été dépouillées. Et à Étalle, les votes de plusieurs communes voisines ont été mélangés.
Votes surnuméraires et bulletins fantômes
D’autres anomalies intriguent davantage. Dans certaines localités, on retrouve plus de bulletins que d’électeurs inscrits. À Drogenbos ou Linkebeek, où le vote papier reste d’application, les bulletins blancs et nuls ont parfois bondi de façon inexplicable : jusqu’à 700 votes en trop pour une seule élection.
« Nous avons relevé des cas où les bulletins non utilisés ont été comptabilisés comme nuls, ce qui gonfle artificiellement la participation et l’abstention à la fois », explique l’auteur.
Dans d’autres cas, c’est l’inverse : des voix manquent à l’appel, comme si certaines urnes n’avaient jamais été ouvertes. « Ces situations, rares mais réelles, sont les plus préoccupantes. Elles posent la question du contrôle des flux physiques de bulletins dans les bureaux de dépouillement. »
Des communes à facilités au cœur du casse-tête
Les communes à statut linguistique particulier – Fourons, Comines-Warneton, Rhode-Saint-Genèse et ses voisines – aggravent la complexité du puzzle électoral. Leurs habitants peuvent voter dans un autre canton, voire dans une autre région, ce qui fausse les statistiques communales.
Ainsi, à Aubel et Heuvelland, les taux de participation dépassent parfois les 110 %, tandis qu’ils chutent à Fourons ou Comines-Warneton.
« Ces exceptions sont prévues par la loi, mais elles devraient être mieux signalées dans les données officielles », plaide Van Den Abbeel. « Sinon, on risque de tirer des conclusions politiques à partir de simples artefacts administratifs. »
19 communes à écarter des analyses
Sur les 40 communes affectées, 19 présentent des erreurs jugées graves, rendant toute comparaison socio-économique hasardeuse. Dans 16 autres, les anomalies sont modérées ; dans 9, elles restent légères.
Le CRISP recommande donc d’utiliser ces données avec précaution, notamment dans les études reliant vote et revenu, ou vote et emploi. « Une seule erreur de quelques centaines de bulletins peut inverser une tendance locale », avertit le politologue.
Restaurer la confiance avant 2026
Le message du CRISP n’est pas alarmiste mais préventif. L’auteur appelle à mieux encadrer la phase de dépouillement papier, à renforcer les contrôles croisés entre bureaux et à publier plus systématiquement les procès-verbaux.
« La Belgique dispose d’un système électoral solide », conclut Van Den Abbeel, « mais sa robustesse repose sur la confiance. Et la confiance, elle, repose sur la qualité des chiffres. »
À quatre ans du prochain scrutin fédéral, cette étude sonne comme un rappel à l’ordre : la démocratie, même numérique, se joue encore souvent à la main, surtout en Wallonie.
Demetrio Scagliola
(Photo DR)