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Le futur militaire de la Belgique (Chronique)

par Fouad Gandoul

Une chronique de Fouad Gandoul.

À une époque où la perspective d’une armée européenne pleinement intégrée demeure encore lointaine, la Belgique doit positionner sa stratégie de défense avec netteté. La pression géopolitique actuelle, des menaces hybrides aux conflits hautement technologiques, ne tolère plus la médiocrité. Ne pouvant pas immédiatement compter sur une coalition européenne complète, la Belgique doit s’engager résolument sur ce qu’elle sait faire particulièrement bien et différemment : investir dans des talents spécialisés et dans des technologies de niche qui font véritablement la différence en situation de conflit.

La guerre moderne ne repose plus principalement sur la quantité de troupes mais sur la rapidité, l’adaptation et l’avancée technologique. Capteurs, systèmes autonomes, intelligence artificielle et décision fondée sur les données dictent de plus en plus le champ de bataille. Pour la Belgique, compte tenu de ses possibilités d’échelle limitées, la seule stratégie rationnelle n’est pas d’exceller dans plusieurs domaines à moyen niveau, mais d’être excellente dans quelques champs minutieusement choisis. Cette approche s’aligne avec la stratégie belge de technologie et d’industrie de défense : des investissements ciblés dans les talents et l’innovation plutôt qu’une dispersion des moyens.

La Belgique doit jouer un rôle proportionnel à sa taille

La Belgique peut s’inspirer de la manière dont Israël a structuré son industrie de défense. Le modèle israélien est fondé sur une coopération étroite entre l’État, la défense, les institutions de recherche et l’industrie, ce qui augmente la qualité, la rapidité et le potentiel à l’export des systèmes technologiques. Un petit pays comme Israël ne peut se permettre de financer des mastodontes, il a donc focalisé sur des technologies rapidement dévelop­pables, opérationnellement efficaces et commercialisables à l’international. De plus, ses technologies militaires ont aussi des débouchés civils, assurant continuité et retour sur investissement. La Belgique peut transposer cela dans un programme national d’industrie militaire avec des priorités claires et la création d’un environnement « test & learn » où prototypes sont construits, évalués et validés.

Dans un cadre de coalition tel que l’OTAN ou l’Agence européenne de défense, la Belgique ne peut demeurer un acteur intermédiaire neutre : elle doit devenir un partenaire apportant une contribution véritablement distinctive ; pas seulement un exécutant des plans d’autrui, mais une « multiplicatrice » stratégique de par son profil technologique et ses talents. Elle dispose de réelles opportunités dans des technologies de niche telles que les systèmes intelligents sans pilote pour la détection ou la patrouille maritime de mines, la cyber- et guerre électronique spécialisée, l’opto-électronique avancée et les technologies de précision, ainsi que la recherche dual-use de pointe comme les technologies quantiques et les jumeaux numériques.

Technologies quantiques et jumeaux numériques

Par « technologies quantiques », j’entends des applications reposant sur les principes de la physique quantique (superposition, intrication) pour offrir des performances inaccessibles aux systèmes classiques : capteurs extrêmement sensibles détectant des mouvements ou anomalies magnétiques, cryptographie résistant aux menaces futures, réseaux de communication ultra-sécurisés. Ces technologies prennent une place croissante dans la défense et offrent à la Belgique la possibilité de devancer technologiquement dans certains créneaux.

Par « jumeaux numériques », j’entends des répliques virtuelles de systèmes physiques — véhicules, infrastructures, réseaux — liées à des données sensor-réelles, qui permettent de simuler, maintenir, former et planifier sans tests physiques systématiques. Cela améliore l’état de préparation opérationnelle, réduit les risques et accélère les cycles d’innovation. En contexte de défense, ces jumeaux peuvent surveiller des systèmes ou des environnements, simuler des scénarios et optimiser la logistique.

Par « opto-électronique », j’entends les systèmes et dispositifs électroniques qui détectent, convertissent ou traitent la lumière, visible ou invisible (infrarouge, ultraviolet, etc.), ou inversement convertissent des signaux électriques en lumière. Pour les applications de défense, on pense aux caméras de vision nocturne, capteurs thermiques, télémètres laser ou liens de communication optique. La Belgique possède déjà des compétences industrielles dans cette technologie et pourrait en faire un investissement stratégique.

Une ambition budgétaire réaliste

La réalité budgétaire nationale est claire : en 2024, la Belgique consacrait environ 1,3 % de son PIB à la défense. En prenant un PIB d’environ 650 milliards d’euros, cela situe l’effort dans quelques milliards. L’objectif est de progresser vers 2 % du PIB, mais pour rendre structurellement possible la stratégie ici décrite, axée sur les talents spécialisés et les technologies de niche, il faut estimer un supplément d’au moins 1 % du PIB, ce qui revient à environ 6,5 milliards d’euros supplémentaires par an au-dessus des dépenses actuelles. Pour rendre cela possible sans devoir tailler dans la sécurité sociale, il faut davantage de croissance économique, davantage de personnes actives et une hausse de la productivité. Ce n’est que de cette manière que la Belgique peut investir de manière crédible dans un profil de niche qui fait réellement la différence opérationnelle.

 » Tant que l’ambition d’une armée européenne pleinement intégrée ne sera qu’un horizon à moyen ou long terme, la Belgique ne peut se permettre de participer à une approche de défense générique. « 

Opérationnellement, cela signifie que les capacités de niche seront intégrées dans l’architecture mobile des forces armées belges. Les spécialistes seront non seulement technologiquement experts, mais aussi enracinés dans la réalité militaire : les cyber-incidents sont traités immédiatement, les patrouilles autonomes sont déployées rapidement et efficacement, l’interopérabilité avec les alliés est intégrée dès le départ. Le succès ne sera plus mesuré uniquement par le nombre de troupes ou de plateformes, mais par des indicateurs opérationnels concrets comme les temps de réaction, le déploiement des systèmes autonomes et le degré d’intégration avec les partenaires.

La gouvernance et le financement exigent une approche ciblée : le ministère doit créer une ligne budgétaire dédiée aux talents de niche et aux technologies, distincte des budgets classiques de matériel. Une structure de gouvernance claire avec un conseil d’administration et une task-force pilotera la feuille de route technologique, la pipeline de talents, le lien industriel et l’ancrage international. L’innovation évolue vite, et la Belgique peut s’inspirer d’Israël où des boucles de rétroaction technico-militaires font partie intégrante du cycle d’innovation (« scan-develop-test-deploy-iterate »). Parallèlement, on surveillera en permanence si les capacités de niche sélectionnées produisent un avantage stratégique réel — et en cas de résultats insuffisants, les moyens ou l’orientation seront ajustés en temps utile.

Tant que l’ambition d’une armée européenne pleinement intégrée ne sera qu’un horizon à moyen ou long terme, la Belgique ne peut se permettre de participer à une approche de défense générique. Le droit d’exister, la crédibilité et l’efficacité des forces armées belges reposent sur une configuration forte et différenciée. En investissant dans des talents de haut niveau et des technologies de niche, la Belgique se donne un profil stratégique propre : autonome dans sa contribution, intégré dans l’alliance. Elle devient non seulement un partenaire précieux, mais surtout une force de défense capable de vraiment faire la différence lorsque cela compte.

Fouad Gandoul, chroniqueur 21News

(Photo Belgaimage : le ministre de la Défense Theo Francken rencontre les vétérans au Cinquantenaire de Bruxelles, 27 avril 2025)

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