L’avocat en droit social au cabinet Littler, vice-président du club The Merode, parfait bilingue, est un fin connaisseur de la vie politique bruxelloise. Avant son départ en vacances, vacances lors desquelles il compte bien « réfléchir à quelques sujets brûlants », M. Craeninckx a accordé une interview à 21news. Au programme, les derniers développements actés par le gouvernement fédéral, le sort des entreprises d’État et, last but not least, l’avenir de Bruxelles.
21news : Comment analysez-vous les dispositions contenues dans l’ « accord d’été » du gouvernement De Wever ?
Herman Craeninckx : Je prends acte de ses avancées, et je prends le pli de les féliciter. Ils ont réussi à faire évoluer certains éléments qui sont dans l’intérêt de notre économie et de notre réputation socio-économique à l’international. Je pense notamment à toute la flexibilité qu’ils sont parvenus à réinsuffler au niveau du droit du travail, notamment au regard de la défiscalisation des heures supplémentaires et du travail de nuit. Je pense qu’il s’agit là, à proprement parler, d’un « exploit » dans un environnement qui n’a pas été facile, et c’est peu dire. Je pense que le gouvernement a été courageux. Courageux notamment, parce que les réformes contiennent, il ne faut pas l’oublier, un véritable « volet social » visant à protéger les moins favorisés, car un bon nombre d’exceptions sont prévues. Ce que je constate, c’est que le fédéral est parvenu à procéder à une avancée sur la relance économique et sociale du pays tout en préservant les droits des plus démunis. Cela reste, je pense, un accord où l’on tient compte de chacun.
L’opposition joue le jeu qui est le sien en estimant que cet accord n’est pas équilibré mais de mon côté je crois qu’il l’est. Notamment au regard du fait que les seuils d’imposition des salaires les plus bas seront augmentés. Second élément, il faut rappeler qu’il existait jusqu’alors un nombre important de contraintes qui bloquaient les entreprises de prospérer et, en corolaire, les travailleurs de travailler davantage s’ils en avaient envie. L’inspection sociale était très sévère. Désormais, grâce à ce nouvel arsenal de réformes, les travailleurs peuvent, s’ils le désirent et uniquement s’ils le désirent, travailler davantage. Souvent, le travailleur est demandeur, car il a lui-même des obligations financières à honorer. Quant à la réforme du chômage, je pense que le gouvernement a tout de même prévu un ensemble d’exceptions et veille, dans le fond, à ne pas abandonner les plus fragilisés. Je pense sincèrement que le gouvernement est parvenu à générer un équilibre entre un certain souci des moins privilégiés et une flexibilisation du droit du travail dont les entreprises avaient bien besoin. C’est cette flexibilisation, justement, qui nous permettra d’en attirer davantage.
21news : Avez-vous l’impression que les deux « camps » politiques se divisent autour d’idées comme l’effort, l’égalité ? Qu’en est-il ?
H.C. : On peut à ce sujet parler, à titre d’exemple, du « droit à la déconnexion ». Je me souviens d’un débat à la télévision qui m’avait opposé à un avocat assez doctrinaire qui soutenait que la « déconnexion » ne devait pas être un droit mais une obligation. Il pensait qu’en rendant ce droit obligatoire, cela permettrait de ne pas ruiner les chances de ceux qui, face à des individus qui désirent travailler davantage, désirent profiter de la vie. Il partait du principe que ceux qui « désirent faire plus », hors du cadre initial, allaient avancer plus vite que ceux qui préfèrent, et je ne les juge pas, une certaine forme d’oisiveté. C’est un parti-pris que je ne partage pas.
Je pense qu’il faut, et c’est ce que le gouvernement entreprend de faire, « stimuler » l’économie, tout en préservant les acquis sociaux les plus importants, et protéger les moins favorisés. Je crois que le gouvernement De Wever est parvenu, encore une fois, à insuffler un nouveau souffle dont j’espère qu’il trouvera son équilibre. Est-ce « parfait » ? Non, rien ne l’est. Est-ce « assez » ? Non, ce n’est qu’un début, et je vais y revenir.
Je rappelle, faut-il encore le faire, que la Belgique – et la Région bruxelloise – sont lourdement endettés. Je salue la création de la taxe sur les plus-values, sauf si elle vient à amputer l’épargne d’une vie ou grever la constitution d’une pension extralégale. Mais je pense que la résorption du déficit doit aussi sinon davantage se faire par le « création de valeur ». Je fais en ce sens un appel ferme au gouvernement fédéral : il faut aller « au-delà » ; que le pays crée davantage de valeur et façonne un nouvel environnement où les entreprises de production, de consultance, etc. on envie de s’établir en Belgique. C’est une des raisons pour lesquelles je pense que les mesures visant à flexibiliser davantage le travail vont dans le bon sens. Mais il faut aller plus loin : il s’agit de veiller à rendre l’administration plus souple, plus accessible, moins complexe, plus transparente. Les sociétés doivent se dire : « l’administration fonctionne, et est de mon côté ! ». Pour attirer les investisseurs, il faut montrer qu’on veille, sur le long terme, à instaurer une stabilité fiscale et sociale. Si l’on peut créer cela – et nous n’y sommes pas encore, on sera véritablement à nouveau attractifs.
Je prends l’exemple, en boutade, de quelque chose François Hollande m’avait partagé à l’époque. L’ancien président français, que je connais assez bien, me disait : « comment voulez-vous que je sois moi-même crédible face à des leaders comme ceux de la Chine ou de la Russie, qui sont là « à vie », alors que moi-même je ne suis là que pour cinq ans ? Je crois que ce n’est pas là le débat. Dans les démocraties européennes, peut-être les gens changent : des élections débouchent sur de nouveaux présidents, de nouveaux premiers ministres, mais ce qu’il faut pour être un interlocuteur économique et social que l’on respecte au niveau géopolitique, c’est la stabilité. Peut-être pas dans les personnes, mais dans l’idéologie socio-économique et politique.
21news : Certaines personnes ont tendance, de temps à autre, à oublier que l’on a beau avoir les politiques sociales les plus encadrantes possibles, si l’on est pas capable d’attirer des entreprises qui vont créer de la valeur – et payer des taxes, ces politiques sociales seront « tuées dans l’œuf ». En définitive, sans création de valeur, on ne va nulle part en tant que collectivité, n’est-ce pas ?
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