La vérité, c’est qu’on débat ici d’un mirage géopolitique avec des instruments symboliques, pour des bénéfices électoraux. L’État palestinien n’existe pas. Le vote belge, si. Et c’est bien là le seul territoire que nos élus cherchent à reconquérir. Une opinion de Nicolas de Pape.
Les partis de la majorité parlementaire belge (N-VA, MR, Les Engagés, Vooruit et CD&V) discutent toujours en coulisses d’une résolution sur le conflit israélo-palestinien. L’objectif : clarifier la position du pays sur deux sujets hautement inflammables – les éventuelles sanctions contre Israël et la reconnaissance de l’État palestinien.
L’intention était d’aboutir la semaine dernière, mais les dissensions internes ont entraîné un report. Mercredi encore, la majorité espérait pouvoir voter un texte d’ici la fin mai, inspiré notamment par le « plan Macron » – que la N-VA de Bart De Wever soutient : une reconnaissance mutuelle, encadrée par des conditions, comme la disparition du Hamas ou la libération des otages israéliens. Bref, un texte « ambitieux », disent certains. Mais, en coulisses, ça cale. Les libéraux du MR freinent. Le CD&V voudrait aller plus loin. Les Engagés parlent de « dépasser les tabous ».
Un enjeu de politique intérieure
Comme au Vatican, il est question de guetter la fumée blanche. Mais qu’on nous pardonne la comparaison : l’enjeu n’est pas tout à fait le même.
Car, nonobstant le désir légitime du gouvernement belge de faire cesser les souffrances des Gazouis – quelle influence peut bien avoir la Belgique – son Parlement, pas même son gouvernement – sur un conflit au Proche-Orient qui se joue à mille lieues d’ici ? Réponse : proche de zéro. Trois acteurs pèsent réellement sur l’issue du conflit. Les États-Unis, soutien indéfectible d’Israël ; Israël lui-même, seul à pouvoir décider in fine de concéder un État aux Palestiniens ; et, dans une moindre mesure, le Hamas, qui détient encore quelques dizaines d’otages vivants.
Les autres puissances – France, Royaume-Uni, Russie, Chine – membres permanents du Conseil de sécurité, sont hors-jeu dès que Washington brandit son veto. Alors la Belgique… que dire ? Nous voilà relégués à la symbolique, à la posture, au théâtre parlementaire. Chacun y va de sa motion ou de son indignation, surtout parmi les partis à électorat pro-palestinien. On gesticule, on score quelques voix ici, on en perd là, et le monde continue de tourner.
Quel État palestinien ?
Mais admettons un instant, par pur exercice intellectuel, que la Belgique dispose d’un levier réel sur Israël, même appuyée par la France qui tente d’occuper le seul terrain qui lui reste. Encore faudrait-il savoir quoi reconnaître. Quelle est cette « Palestine » qu’il faudrait saluer comme un État ? Une Cisjordanie, une bande de Gaza et une Jérusalem-Est unifiées, administrées par une Autorité palestinienne laïque, fraîchement légitimée par des élections libres – les premières depuis près de vingt ans – et lavée de sa corruption endémique ?
Pour cela, il faudrait d’abord la disparition du Hamas, sa reddition sans condition, la libération des otages israéliens et l’éradication complète des factions djihadistes comme le FPLP, les Brigades Al-Qassam et consorts. Autrement dit, un autre monde.
Et Gaza ? Quel avenir pour cette enclave ravagée ? Le plan égyptien, sans déplacement de population ? Ou la réannexion pure et simple prônée par l’extrême droite israélienne ? Notons qu’un tiers des Gazaouis voudraient quitter la zone, et qu’environ 5.000 ont déjà trouvé refuge… en Belgique dont une poignée seulement serait affiliée au Hamas…
S’agit-il au contraire de reconnaître un droit, purement théorique à ce stade, des Palestiniens à l’autodétermination ? Si oui, sur quel périmètre ? Avec quelles institutions, quelles garanties, quelle armée, quelles frontières ?
En réalité, avant toute reconnaissance mutuelle prônée par la France, il faut un État dans des contours solides. Celui-ci ne peut naître que d’un accord de paix signé par deux entités légitimes : un gouvernement palestinien issu d’élections, et Israël. Encore faudrait-il, là aussi, que les Israéliens désignent à nouveau leur propre leadership via de nouvelles élections afin de vérifier que Benjamin Netanyahu est encore le représentant légitime de son peuple.
Nicolas de Pape
(Photo Frédéric Scheiber / Hans Lucas via AFP)