Une chronique de Merry Hermanus.
Évoquer les affres de l’élaboration du budget bruxellois provoque une curieuse sensation, un malaise, une nausée, un sentiment étrange, comparable à la lecture de Kafka ou à la vue du célèbre tableau de Magritte « Ceci n’est pas une pipe ». Car oui, il y aura… peut-être un OBNI, Objet Budgétaire Non Identifié, que l’on baptisera budget, mais qui, c’est une certitude, ne sera pas un budget.
Récemment, La Libre a publié des articles où les problématiques budgétaires fédérales et bruxelloises étaient parfaitement synthétisées.
Les chiffres, une nouvelle fois
Les chiffres sont connus, et eux ne mentent pas !
- Déficit : 1,4 milliard
- Dette : 14,5 milliards
- Budget : 7,6 milliards
- Différentiel recettes-dépenses : 211 %
- Prévision, toutes choses égales, pour 2028 : 283 %
- La dotation aux communes a atteint le chiffre astronomique de 724 millions – sans celle-ci, de nombreuses communes seraient en faillite. Cela démontre que c’est toute l’architecture institutionnelle bruxelloise qui est, au sens premier du terme, devenue invivable.
- La dotation à la STIB est passée, accrochez-vous, de 170 à 442 millions.
Pire, en neuf ans, la charge de la dette est passée de 124 millions à 335 millions ! Ce seul chiffre démontre l’inanité de la gestion des gouvernements qui se sont succédé pendant ces neuf dernières années. Il n’y eut manifestement aucune politique budgétaire : c’était le tiroir-caisse ouvert nuit et jour, open bar pour tous… et celui qui passait se servait… et on subsidiait, on empruntait, comme les Shadoks pompaient.
Je pose la question : qui peut, avec un tel paysage budgétaire et dans le contexte politique actuel, envisager de réaliser une épure budgétaire ayant un sens ?
Bruxelles, l’inévitable naufrage
Quel que soit l’accord, dans la mesure où il est impossible légalement de créer les termes d’une véritable alternance politique, on ne pourra que poursuivre de dériver sur le radeau de la Méduse (photo) bruxellois. Le dernier contribuable bruxellois sera saigné et mangé avant d’apercevoir la voile salvatrice que Géricault peint, minuscule, au fond de sa magnifique toile.
Le problème pour la petite classe politique bruxelloise, composée d’ilotes trop gras à force de s’être trop gavés, est que le navire salvateur a pour capitaine Bart De Wever !
Qui paie encore l’impôt à Bruxelles ?
On l’a déjà écrit, et ce chiffre laisse pantois de nombreux Bruxellois, mais il est malheureusement vrai : seuls 10 % des Bruxellois paient 90 % de l’impôt des personnes physiques prélevé dans la région.
Comment s’étonner, dès lors, qu’à Bruxelles le taux de pauvreté soit de 37,3 %, alors qu’il est de 21,8 % en Wallonie et de 12,9 % en Flandre ?
La raison en est simple : les gouvernements qui se sont succédé n’ont eu qu’un seul projet cohérent — faire de Bruxelles une pompe à pauvres —, car les gens supposés tels sont également supposés voter pour les partis en place. Les logements sociaux sont donc devenus des ghettos, certains quartiers de la Région le sont tout autant !
Mais si vous osez le dire, si vous avez l’extrême audace de constater la réalité, vous êtes immédiatement qualifié d’extrême droite, parfois même de fasciste et toujours d’islamophobe ! C’est un must ! Le paquet des qualificatifs est complet, un lot global.
J’en profite pour fournir encore un chiffre officiel, mais tabou, qu’on n’évoque jamais — chaque lecteur comprendra pourquoi — : il s’agit du pourcentage des femmes exerçant à Bruxelles une activité professionnelle.
- Pour Bruxelles : 53 %
- Pour la Wallonie : 57 %
- Pour la Flandre : 68 %
Ces chiffres donnent à réfléchir sur la situation démographique de la Région et son impact sur le monde du travail. Ajoutez-y le nombre de jeunes qui disparaissent de toutes les catégories statistiques et dont on ne connaît pas l’activité professionnelle, s’il en existe une, ou alors…
Le chaos généralisé, mais refus de fusionner les zones de police
Le chaos s’installe partout : comme au Mexique ou en Colombie, on retrouve pendu un individu à un panneau de signalisation, sans doute un concurrent malheureux d’un point de deal. Le bourgmestre de Saint-Gilles, comme ses collègues, refuse à toute force la fusion des zones de police, mais, constatant son impuissance, réclame l’aide des autres zones de police.
Bruxelles, c’est l’aberration, l’irresponsabilité, l’incompétence crasse à tous les étages.
Responsabilité, c’est où ? En tout cas pas au gouvernement bruxellois
J’ai été proprement estomaqué de lire l’interview de la charmante Mme Elke Van den Brandt, entre autres ministre de la Mobilité, dans La Libre à propos de la ligne de métro n° 3 en travaux. Elle s’y exprime comme si elle était tout à fait étrangère à la décision, estimant que les travaux, au départ, étaient de 1,4 milliard, que le fédéral apportait une somme plafonnée de 500 millions, et que, maintenant, les travaux étant estimés à 4,7 milliards, le fédéral devrait augmenter sa dotation.
Pis encore, elle, qui est membre de ce gouvernement et aurait donc dû piloter ce projet, estime suivre les remarques de la Cour des comptes ! « Que la coordination (entre la STIB, le gouvernement et Beliris) devrait être améliorée ! »
Un tel niveau d’irresponsabilité est proprement stratosphérique ! Car que dit la Cour des comptes :
- Les risques sont insuffisamment maîtrisés
- Le processus décisionnel incohérent
- Manque de transparence et de prudence
- Difficultés de coordination
- La conception ne se fonde pas sur des études préliminaires approfondies
- Documents d’appel d’offres contenant des ambiguïtés et des erreurs
- La légalité n’est pas suffisamment respectée
- La Région accuse un déficit de financement de ce projet de 4 milliards d’euros.
Qui dit mieux ?
Cette analyse de la Cour des comptes devrait déclencher, pour le moins, une commission d’enquête. Mais, comme à la Région tout le monde se tient par la barbichette, rien ne se passera et Mme Elke Van den Brandt pourra répondre aux journalistes comme si elle n’était pour rien dans ce projet, qui pourtant était le projet majeur du gouvernement dont elle fait toujours partie… comme il est inévitable qu’elle fasse partie du prochain !
Après de telles remarques de la Cour des comptes, chacun des membres de ce gouvernement devrait être exclu à jamais de quelque responsabilité politique que ce soit. Mais dans la république bananière qu’est devenue Bruxelles, cela n’a aucune importance : les milliards tomberont du ciel, et les derniers Bruxellois payant l’impôt devront être saignés à blanc pour que de tels personnages puissent continuer à faire semblant de gouverner.
Pensez-y : le calcul a été fait et n’a pas été contesté — dans certaines communes, l’impôt cadastral a fait un bond de 44 % en six ans — et pour faire quoi ?
Je me garderai bien de devenir injurieux et me contenterai donc d’écrire que ces ministres bruxellois ont l’utilité de valises sans poignées… valises, qui plus est, hors de prix.
Cohésion, quelle cohésion ? Quel projet ?
Quel que soit le gouvernement bruxellois, s’il se constitue un jour, il ne disposera pas de ce qui est essentiel pour un gouvernement digne de ce nom : la cohésion et un projet commun.
Quelle cohésion peut-il y avoir dans cet horrible brouet composé de partis que tout oppose ? Quelle cohésion alors que chacun sera dans ce gouvernement avec un agenda différent des autres ?
Or, dans un gouvernement, les décisions se prennent sur la base de la collégialité : si un ministre n’est pas d’accord, il se rallie à la majorité ou quitte le gouvernement. Dans la réalité, à Bruxelles, cela ne se passe absolument pas ainsi : la règle, c’est le chantage. Un ministre veut absolument faire passer un projet ; si le gouvernement n’est pas d’accord, il bloque tout, et ce pendant des mois s’il le faut.
Chaque ministre étant en capacité de tout bloquer. Pascal Smet, hurluberlu hors catégorie, l’a fait des dizaines de fois.
Vous comprendrez qu’avec de telles pratiques, il est parfaitement impossible de respecter un budget, d’avoir au sein du gouvernement la moindre cohésion, si ce n’est pour la stupide photo de groupe après l’investiture. Une fois leur portrait tiré, c’est chacun pour soi et le budget pour tous !
Non ! Cela ne peut plus fonctionner, c’est une évidence, tout le monde le reconnaît, mais il n’empêche : la petite classe politique, qui vit sur la bête agonisante, continue… Leur seule cohésion, le seul projet, est de durer pour durer ! Au-delà de ce mantra : rien, le néant !
Une éclatante et éclairante démonstration de cohésion
On vient d’en avoir la démonstration : l’évanescent ministre des Finances Sven Gatz démissionne le matin pour raison de santé ; en fin d’après-midi, il renonce à celle-ci afin de laisser les mains libres à son président de parti pour imposer son successeur,sans que le gouvernement ou les autres partis de la coalition ne soient consultés… Cohésion, vous avez dit cohésion ? Comme c’est étrange !
Quel avenir, Cuba sur Senne ?
La vérité, la terrible vérité pour les Bruxellois, c’est que le budget bruxellois est, dans ses structures institutionnelles actuelles, un puzzle conçu par un dément, dont les pièces ne peuvent, ne pourront jamais, s’emboîter. En attendant, ayant tout bloqué pendant un an et demi, Ahmed Laaouej, président de la fédération bruxelloise du PS, l’œil rivé sur les sondages, fort de son matelas de voix communautaires et confessionnelles, espère constituer au plus vite un gouvernement PS/PTB, en y adjoignant, si nécessaire, quelques écolos — ça ne coûte pas cher à Bruxelles, un écolo de plus ou de moins —, créant ainsi un Cuba sur Senne, sans les palmiers, mais avec l’islam politique en toile de fond.
Ça vous plaît, cet avenir-là ?
Ah ! J’oubliais, cette semaine des hauts fonctionnaires étaient chargés d’exposer devant une commission parlementaire les grandes lignes de leur gestion. Arrive en retard, vers 9h20, un sémillant parlementaire qui, ne prenant même pas la peine de s‘asseoir, se plaint qu’il n’y ait pas de croissants. Y a-t-il plus belle preuve de la déconnexion de cette classe politique qui, alors que le navire sombre, s’étonne de l’absence de croissants sur le pont du Titanic ?
Merry Hermanus
(Photo Imagebroker : Géricault, Le Radeau de la Méduse, 1819, Musée du Louvre, Paris)