Depuis près d’une décennie, Donald Trump obsède, divise et déroute. Jamais un responsable politique n’aura été aussi commenté, disséqué, dénoncé — et pourtant aussi mal compris. À force de le juger à l’aide de catégories politiques épuisées, on a peut-être manqué l’essentiel. En s’appuyant sur la fine analyse de Mark Lilla, que nous décortiquerons au fil du texte ; cet historien des idées et professeur de littérature à l’Université de Columbia, a publié son analyse dans la revue Commentaire, elle propose un décryptage, non pas de Trump lui-même, mais du brouillage intellectuel qui a rendu son apparition possible et durable.
Depuis bientôt dix ans, Donald Trump fait l’objet d’un paradoxe persistant. Il est sans doute l’homme politique le plus commenté au monde, mais aussi l’un des moins bien compris. Chaque cycle électoral relance les mêmes diagnostics mécaniques : dérive fasciste, populisme vulgaire, revanche des classes populaires, trahison du conservatisme, ou au contraire révélation de sa vraie nature. Ces lectures se succèdent, se neutralisent, s’annulent parfois. Rien ne se stabilise. Trump disparaît parfois de la scène, mais le trumpisme demeure, sédimenté, diffus, prêt à resurgir.
Si le phénomène résiste autant à l’analyse, c’est peut-être parce que l’on continue à le penser avec des mots qui ne fonctionnent plus. Non pas parce qu’ils seraient faux en eux-mêmes, mais parce qu’ils ont perdu leur pouvoir explicatif. Ils nomment mal ce qui se transforme sous nos yeux. Et, dans la confusion, ils fabriquent des raccourcis : on croit éclairer, on simplifie ; on croit classer, on masque.
Quand les catégories politiques cessent d’expliquer
Le débat public — en particulier en Europe — repose encore largement sur un vocabulaire hérité de la seconde moitié du XXᵉ siècle. Droite et gauche, conservatisme et progressisme, libéralisme et autoritarisme : ces oppositions structurantes ont longtemps permis de comprendre le jeu politique. Mais à force d’être étendues, déplacées, instrumentalisées, elles ont fini par se vider de leur précision.
Le mot « conservatisme » illustre parfaitement ce glissement. Il est aujourd’hui employé comme une essence : une tradition continue, une identité morale stable, presque une disposition anthropologique. Or cette évidence est trompeuse. Ce que l’on appelle « conservatisme » aux États-Unis n’a jamais constitué un bloc homogène ni une lignée naturelle.
Il s’agit d’une construction intellectuelle relativement tardive, élaborée après la Seconde Guerre mondiale dans un contexte précis : celui de la guerre froide, de l’anticommunisme et de la crainte d’un État central envahissant. Des penseurs et des essayistes ont alors cherché à donner une généalogie respectable à une droite américaine fragmentée, en la reliant à Edmund Burke, à la tradition anglo-saxonne du gouvernement limité, à une vision prudente de l’ordre social.
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