Alors que le ministre des Affaires Étrangères Maxime Prévot rentre d’une visite au Congo, le sénateur honoraire Alain Destexhe revient sur l’origine de la crise au Kivu.
Le problème principal de la crise au Kivu n’est pas la souveraineté de la République démocratique du Congo, mais la survie des Tutsis congolais, menacés d’extermination, comme l’ont été les Tutsis du Rwanda en 1994.
Incapable d’expliquer les revers militaires humiliants de son armée, le président Tshisekedi crie au complot rwandais (Le Figaro du 19 mars 2025) et se pose en victime d’une « agression étrangère ». Mais la réalité est tout autre.
Une armée congolaise corrompue
Malgré le soutien de troupes africaines, de mercenaires européens et d’ex-légionnaires roumains, les FARDC (Forces armées congolaises) ont perdu Goma, puis Bukavu, les deux grandes villes du Kivu à l’est du Congo, incapables de résister à une rébellion pourtant bien inférieure en nombre. Pourquoi ? Parce que cette armée s’effondre sous le poids de la corruption : soldes détournées, matériel revendu, discipline absente. Face à elle, les combattants du M23 ne reçoivent aucune solde, mais se battent par nécessité, après avoir été traqués et marginalisés par Kinshasa depuis plus d’une décennie.
Depuis des années, des organisations alertent sur les exactions commises par l’armée congolaise et ses milices affiliées, notamment FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda). Ces dernières sont directement issues de l’ancienne armée génocidaire rwandaise de 1994. Pendant des décennies, ils ont utilisé l’est du Congo comme base arrière, lançant des attaques contre le Rwanda et terrorisant les populations locales. Mais surtout, ils ont infiltré l’armée congolaise. De nombreux officiers des FARDC sont aujourd’hui d’anciens combattants des FDLR, et leur influence idéologique est telle que les milices sous contrôle de Kinshasa reprennent ouvertement un discours génocidaire contre les Tutsis.
Pourquoi la RDC ne se développe-t-elle pas ?
Depuis ses défaites au Kivu, Félix Tshisekedi a intensifié ses efforts diplomatiques, faisant du Rwanda le bouc émissaire de ses propres échecs. Sous sa présidence, depuis 2019, les Congolais n’ont connu aucune amélioration. Malgré son potentiel exceptionnel, la RDC reste l’un des pays les plus pauvres du monde, avec un PIB par habitant d’environ deux euros par jour (184ᵉ sur 190 pays) et un classement à la 163ᵉ place sur 180 pays à l’indice de corruption. Dans ce contexte, il est surprenant de voir la communauté internationale accorder du crédit à la propagande d’un tel régime, alors que l’immense majorité des Congolais vivent dans une pauvreté abjecte.
Dans les chancelleries occidentales, une comparaison inappropriée est souvent faite avec l’Ukraine, mais le Rwanda est 90 fois plus petit et dix fois moins peuplé que son voisin ! Par ailleurs, le président Tshisekedi a lui-même menacé à plusieurs reprises d’attaquer le Rwanda, un pays grand comme à peine deux tiers de la Belgique.
Les Tutsis congolais menacés
Il est donc essentiel de replacer ce conflit dans son contexte réel. Les racines de la crise au Kivu remontent à 1994, lorsque l’armée génocidaire rwandaise vaincue s’est retranchée et réarmée au Congo, pillant et massacrant les populations tutsies de l’est du pays. Beaucoup de Tutsis ont fui vers les pays voisins, notamment au Rwanda, qui abrite encore 80 000 réfugiés congolais, principalement des Tutsis qui n’ont jamais renoncé à retourner sur leurs terres, ce qui a conduit à la création du M23. Ce mouvement s’est ensuite élargi à d’autres groupes, désormais regroupés dans l’Alliance Fleuve Congo (AFC), en guerre contre Kinshasa.
Le problème principal du Kivu n’est donc pas « l’intégrité territoriale et la souveraineté du Congo », mais la survie des Tutsis congolais, marginalisés et persécutés dans leur propre pays, ainsi que l’aspiration à la sécurité et à la prospérité de tous les habitants du Kivu.
Seul un dialogue sincère entre Kinshasa et le M23/AFC peut résoudre la crise. Avec les récents accords de Doha au Qatar, ce dialogue a – enfin – commencé. La « déclaration de principes » (25 avril) entre le Rwanda et le Congo sous les auspices des Etats-Unis va dans le même sens d’un apaisement des tensions. En adoptant des sanctions contre le Rwanda et le M23, en grande partie sous l’impulsion de la Belgique, l’Union européenne et plus encore notre pays se sont mis hors jeu dans la résolution de la crise.
Alain DESTEXHE
Sénateur honoraire, il revient d’un séjour au Kivu. Derniers livres parus : « Mayotte, comment l’immigration détruit une société » (Texquis, 2025) et « Rwanda, le carnage, 30 ans après, retour sur place » (Texquis, 2024). Les intertitres sont de la rédaction.
(Photo : Amani Alimasi / AFP)