La Chambre représente-t-elle fidèlement la population belge ? Le Parlement de la Communauté germanophone réclame, en tout cas, un siège garanti. Et pourquoi pas un Secrétariat d’État ? Une opinion de Pascal Lefèvre, chroniqueur politique indépendant.
Le 23 juin, le Parlement de la Communauté germanophone a adopté une résolution adressée à la Chambre des représentants, au Sénat, au Gouvernement fédéral, ainsi qu’au Gouvernement de la Communauté germanophone. Cette résolution concerne la « représentation garantie et adéquate de la population de la région de langue allemande à la Chambre des représentants ». Elle demande au Gouvernement fédéral, à la Chambre des représentants et au Sénat :
- « de prendre les mesures constitutionnelles et légales nécessaires afin de garantir une représentation adéquate de la population de la région de langue allemande à la Chambre des représentants ;
- de prévoir une représentation adéquate et garantie de la population de la région de langue allemande à la Chambre des représentants par la création d’une circonscription électorale propre à la région de langue allemande ;
- de ne pas prévoir d’apparentement de listes pour cette circonscription électorale propre ;
- de mettre en place pour les députés élus dans la circonscription électorale de la région de langue allemande la réglementation appliquée actuellement au sénateur de la Communauté germanophone au Sénat, en ce qui concerne l’appartenance à l’un des deux groupes linguistiques. »
Elle charge également le Gouvernement de la Communauté germanophone « de défendre ces revendications avec insistance auprès du Gouvernement fédéral, en tenant compte des intérêts de la population de la région de langue allemande ».
Cette résolution découle notamment de la suppression du Sénat, souhaitée par le gouvernement de Bart de Wever. En effet, au niveau fédéral, la représentation des germanophones n’est actuellement garantie que dans cette assemblée, sur la base de l’article 67, 5° de la Constitution, lequel prévoit qu’« un sénateur [est] désigné par le Parlement de la Communauté germanophone en son sein ».
Objectivement, tous les points soulevés dans le texte des députés communautaires germanophones semblent fondés, pour plusieurs raisons d’ailleurs exposées dans les considérants de la résolution.
Quelle représentation pour la communauté germanophone ?
Tout d’abord, l’article 2 de la Constitution souligne que « la Belgique comprend trois communautés : la Communauté française, la Communauté flamande et la Communauté germanophone ». Il serait donc anormal que l’une des trois communautés de l’État fédéral ne bénéficie pas d’une représentation garantie au niveau fédéral. On peut d’ailleurs légitimement se demander pourquoi une telle représentation n’a jamais été assurée à la Chambre des représentants jusqu’à présent ?
Notons qu’il y a actuellement un député fédéral germanophone, Luc Frank (CSP/Les Engagés), mais que sa présence résulte du seul hasard électoral. Il convient également de rappeler que la représentation de la population de la région de langue allemande est déjà garantie, à la fois constitutionnellement et légalement, au Parlement européen ainsi qu’au Conseil provincial de Liège.
Le point 2 de la résolution — la création d’une circonscription électorale propre à la région de langue allemande — se comprend aisément. Actuellement, les communes de langue allemande, qui composent les cantons électoraux d’Eupen et de Saint-Vith, relèvent du collège électoral de l’arrondissement de Verviers. Il n’existe donc aucune garantie de représentation des citoyens germanophones à la Chambre des représentants.
Le point 3 — l’absence d’apparentement de listes pour cette nouvelle circonscription électorale — vise à éviter l’application du mécanisme d’apparentement en vigueur au niveau provincial, en l’occurrence celui de la province de Liège. L’objectif est de renforcer la garantie d’une représentation autonome et directe des germanophones.
Le point 4 — l’extraction du député fédéral germanophone des groupes linguistiques français ou néerlandais existants — s’inspire du statut du sénateur germanophone, prévu à l’article 43, §2 de la Constitution. En effet, ce dernier n’est pas intégré à l’un des deux groupes linguistiques. Or, l’article 43, §1er stipule que « les membres élus de la Chambre des représentants sont répartis en un groupe linguistique français et un groupe linguistique néerlandais ». En l’état actuel, les élus, y compris germanophones, de l’arrondissement électoral de Verviers sont automatiquement considérés comme faisant partie du groupe linguistique français.
Une voix d’office ?
L’accueil favorable réservé par le Premier ministre à la requête du Parlement de la Communauté germanophone, le 26 juin — M. De Wever estimant que « dans un pays compliqué comme la Belgique, qui est comme une mini-Europe, il est important que chacun ait une voix » — ne peut ainsi qu’être salué.
On pourrait toutefois en profiter pour poursuivre la réflexion : faut-il, oui ou non, également accorder d’office une « voix » aux germanophones au sein du Gouvernement fédéral ? Stop ou encore ?
La logique de l’article 2 de la Constitution, qui place les trois communautés nationales sur un pied d’égalité, supposerait, selon nous, que cette représentation soit réalisée. Dans notre « opinion » publiée dans les colonnes de La Libre Belgique le 13 février dernier, nous estimions qu’une désignation automatique — à tout le moins — d’un secrétaire d’État germanophone, chargé de défendre les intérêts de sa communauté, constituerait un pas dans la bonne direction.
Encore un petit effort, M. De Wever…
Pascal Lefèvre, chroniqueur politique indépendant (le chapô et les intertitres sont de la Rédaction)
(Photo Belga John Thys : la présidente du Parlement de la communauté germanophone, Patricia Creutz-Vilvoye, 1er juillet 2024)