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Annulation de Raphaël Enthoven : une capitulation honteuse face à la violence. Les démocrates doivent réagir (Édito)

par Nicolas de Pape

Ce qui vient de se passer à Bruxelles est indigne d’une démocratie européenne. La plus grande librairie du pays, Filigranes, a renoncé à accueillir Raphaël Enthoven parce qu’une bande d’antifas anonymes a menacé de « venir attaquer » une séance de dédicaces. Le philosophe français venait présenter un livre bouleversant consacré à sa mère, emportée par la maladie de Parkinson. Il n’était pas question de Gaza, ni d’Israël, ni de polémique partisane. Mais cela n’a pas empêché les censeurs autoproclamés de brandir l’accusation suprême – « négationniste » – pour justifier l’intimidation et la violence.

La réaction de Filigranes ? On peut comprendre la peur. Mais baisser pavillon de cette manière ? Déclarer qu’on « croit à la liberté d’expression », tout en expliquant qu’on ne veut pas « d’une rencontre sous protection policière » ? Voilà donc où nous en sommes : des libraires qui se disent « temples du débat », mais qui se couchent au premier bruit de bottes rouges.

L’intimidation a gagné, le débat a perdu

Et rappelons-le : Raphaël Enthoven est un intellectuel plutôt de centre gauche, humaniste, universaliste, européen convaincu et qui anime l’excellent média “Franc-Tireur”. Si même ce profil est désormais jugé illégitime par l’extrême gauche, alors plus personne n’est à l’abri. Cette logique de disqualification systématique, où l’on tente de salir au lieu de débattre, est un poison pour le débat public.

En France, au Festival du livre de Besançon, la maire avait déjà annulé la venue du philosophe, avant d’être contrainte de le rétablir sous la pression d’écrivains et d’artistes de tous bords. À Bruxelles, en revanche, les intimidateurs gagnent à nouveau. Quelques posts rageurs sur les réseaux sociaux suffisent désormais à museler la parole, à faire taire un écrivain, à effrayer un libraire. Les réseaux sociaux, avec leurs comptes anonymes transformés en machines à diffamer, portent une lourde responsabilité dans cette montée de la violence.

Caroline Fourest a raison de le rappeler : « Une fois de plus, en Belgique, la liberté d’expression cède à l’intimidation. Nous sommes nombreux à l’avoir vécu. Plusieurs à avoir décidé de ne plus y prendre la parole. Effarés par le niveau des extrêmes et le peu de résistance. C’est ainsi que meurent les principes. »

À force de céder, de reculer, de trouver des prétextes, on enterre l’idée même de débat contradictoire. On laisse les plus violents imposer leur loi. Bruxelles, capitale de l’Europe, donne aujourd’hui l’image d’une ville où des groupuscules peuvent dicter l’agenda intellectuel. Ce n’est pas seulement une atteinte à un écrivain, c’est une gifle à la démocratie.

« Quelques posts rageurs sur les réseaux sociaux suffisent désormais à museler la parole, à faire taire un écrivain, à effrayer un libraire. »

Il est temps que les élus, de tous bords, sortent de leur silence. Car s’ils ne condamnent pas clairement ces intimidations, les prochains que l’on cherchera à réduire au silence, ce sera eux. L’histoire montre qu’on ne compose jamais longtemps avec ceux qui veulent interdire la parole : tôt ou tard, ils s’en prennent aussi aux responsables politiques.

La liberté d’expression est un droit constitutionnel belge (article 19) et européen (article 10 de la CEDH). Il est temps de le faire appliquer. Sinon, demain, plus personne — pas même nos élus — n’aura la garantie de pouvoir s’exprimer sans peur.

Nicolas de Pape

(Photo Belga : Hatim Kaghat)

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