Depuis la sortie de la crise sanitaire, un renversement longtemps impensable est en train de s’opérer au sein de la zone euro. Les pays du sud, autrefois perçus comme les plus fragiles, regagnent la confiance des marchés financiers, tandis que la France – et, dans une moindre mesure, l’Allemagne – apparaissent désormais plus vulnérables. Un basculement historique des perceptions entre le nord et le sud de l’Europe, annonce notamment BFMTV.
Le contraste est particulièrement frappant sur les marchés obligataires. Cette semaine, les écarts de taux d’emprunt entre l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne ont atteint leur plus bas niveau depuis seize ans. Les investisseurs saluent les efforts budgétaires engagés par Rome et Madrid, alors que l’augmentation de l’endettement public dans plusieurs pays du nord ravive les inquiétudes.
En Italie, le différentiel de rendement à dix ans avec le Bund allemand – référence ultime du risque souverain en zone euro – est tombé à environ 0,7 point de pourcentage ce mois-ci, pour un Bund autour de 2,86% en cette fin d’année. Un niveau inédit depuis fin 2009, qui confirme la normalisation progressive du risque italien aux yeux des marchés.
L’Espagne suit une trajectoire similaire, portée par une croissance économique plus dynamique que la moyenne européenne. Son écart de taux à dix ans avec l’Allemagne est désormais inférieur à 0,5 point de pourcentage, un plancher jamais observé depuis la crise de la dette souveraine, lorsque les coûts d’emprunt avaient explosé et fait planer la menace d’un éclatement de la zone euro.
Cette recomposition s’accompagne d’un déclassement relatif de pays longtemps considérés comme des valeurs refuges. « Nous assistons à une fusion de la périphérie avec des pays auparavant jugés plus sûrs, comme la France, la Belgique ou l’Autriche », observe Ales Koutny, responsable des taux internationaux chez Vanguard, dans le Financial Times.
La France, nouveau point de fragilité
Dans ce paysage redessiné, la France apparaît désormais comme l’un des principaux foyers d’inquiétude. Son déficit public élevé, conjugué à des tensions politiques persistantes, a fait grimper ses coûts d’emprunt au-delà de ceux de l’Espagne – un renversement hautement symbolique pour une économie longtemps perçue comme un pilier de la stabilité financière européenne.
Le taux à dix ans français s’établit ainsi autour de 3,56%, contre 3,51% pour l’Italie et 3,29% pour l’Espagne. Un écart qui traduit la prime de risque désormais exigée par les investisseurs pour financer la dette française.
Même l’Allemagne n’est plus totalement épargnée. L’annonce d’un vaste programme de dépenses publiques a légèrement terni son statut de valeur refuge. Mais la situation française demeure jugée plus préoccupante encore. Les agences de notation anticipent une dégradation continue des finances publiques, S&P projetant une dette atteignant près de 120% du PIB dans les prochaines années.
Pour Ken Egan, directeur du crédit souverain européen chez KBRA, l’Europe est désormais traversée par « une histoire à deux vitesses, entre le nord et le sud ». Il souligne le « changement décisif » engagé par les économies méridionales, qui s’éloignent progressivement des déficits chroniques, tandis que des pays comme la France voient « le vieillissement démographique, une croissance plus faible et des dépenses élevées éroder leurs positions budgétaires ».
Dans ce contexte, les investisseurs anticipent un nouveau resserrement des écarts de taux. Ales Koutny table ainsi sur un spread italien compris entre 0,5 et 0,6 point de pourcentage, et un écart espagnol entre 0,3 et 0,4 point.
Malgré des rendements encore élevés en valeur absolue, James McAlevey, responsable chez BNP Paribas Asset Management, estime que ces dettes souveraines « entrent dans un régime très différent ». Une évolution susceptible, selon lui, d’élargir la base d’investisseurs, y compris parmi les gestionnaires les plus prudents, comme ceux en charge des réserves des banques centrales.
La rédaction
(©PHOTOPQR/LE PARISIEN/ARNAUD DUMONTIER)