À l’aube de la nouvelle année, la Belgique s’apprête à tourner une page importante de son modèle social avec l’entrée en vigueur de la réforme mettant fin au chômage illimité dans le temps. Cette réforme suscite des débats vifs et des inquiétudes, en particulier celle d’un afflux massif – presqu’automatique – vers les CPAS. Cette crainte mérite d’être entendue. Elle repose toutefois sur une lecture partielle de la réalité et, surtout, sur une confusion persistante quant au rôle fondamental de l’aide sociale.
Au-delà de cette réforme, c’est bien un changement profond de mentalités, et sans doute un changement de société, qui est aujourd’hui à l’œuvre en Belgique.
De l’assistanat à la responsabilité
Pendant trop longtemps, l’assistanat s’est progressivement banalisé. Pour certains, il est même devenu un mode de vie durable. Une partie de notre société a fini par perdre de vue une évidence pourtant essentielle : le travail n’est pas une option parmi d’autres, il est le socle même de la solidarité collective.
Ce modèle arrive aujourd’hui à ses limites. On ne peut pas indéfiniment bénéficier des avantages de l’État-providence sans jamais y contribuer. La solidarité repose sur un principe simple mais exigeant : le donnant-donnant. Les aides sociales, qu’il s’agisse du revenu d’intégration sociale ou des allocations de chômage, sont des filets de sécurité. Elles existent pour faire face à un accident de parcours, pas pour devenir des revenus pérennisés ni des droits inconditionnels à vie.
La fin du chômage illimité dans le temps ne crée pas une nouvelle précarité. Elle met fin à une illusion. Elle rappelle que l’aide publique est par nature temporaire et qu’elle doit conduire à l’autonomie, non à la dépendance.
La fourmi, la cigale et la solidarité moderne
La solidarité ne peut pas consister à faire porter indéfiniment l’effort sur les mêmes épaules. Dans la fable bien connue de La Fontaine, la fourmi travaille, anticipe et contribue. La cigale, elle, profite du moment présent sans se soucier du lendemain. Une société équilibrée ne peut durablement demander aux fourmis de travailler toujours plus pour compenser l’inaction prolongée des cigales.
Notre État social n’a jamais été conçu pour opposer les citoyens entre eux, mais pour protéger en cas de coup dur. Encore faut-il accepter que la solidarité implique une réciprocité. L’aide collective n’a de sens que si elle soutient l’effort, encourage la prévoyance et favorise le retour à l’autonomie. À défaut, c’est la confiance dans le système lui-même qui s’érode.
Une réalité budgétaire incontournable
Cette réforme s’inscrit dans un contexte que l’on ne peut plus ignorer : celui de finances publiques sous très forte pression. Les CPAS, comme les communes et l’ensemble des niveaux de pouvoir, font face à des défis budgétaires majeurs. Les coûts augmentent, les marges de manœuvre se réduisent et les besoins sociaux, eux, ne disparaissent pas.
Ces contraintes ne sont pas abstraites. Elles concernent directement tous les citoyens qui financent le système par leur travail et leurs impôts. Notre modèle social ne peut fonctionner durablement que si chacun y contribue, selon ses capacités. Lorsque le lien entre droits et devoirs se distend, c’est l’équilibre de tout le système qui est menacé.
Le paradoxe des emplois non pourvus
Cette exigence de responsabilité collective est d’autant plus légitime que notre marché de l’emploi connaît une situation paradoxale. Dans de nombreux secteurs, des milliers de postes restent aujourd’hui non pourvus (métiers en pénurie).
Le CPAS, un tremplin vers l’autonomie
Contrairement à certaines idées reçues, tous les chômeurs de longue durée ne se retrouveront pas automatiquement au CPAS. L’accès à l’aide sociale est encadré, conditionné et individualisé. Surtout, le CPAS dispose d’un levier essentiel que le système du chômage n’a pas toujours suffisamment activé : l’accompagnement personnalisé vers l’emploi et l’insertion sociale.
Le CPAS ne peut pas être un simple guichet social où l’on vient exiger son dû. Il doit redevenir un tremplin vers l’indépendance, en renforçant les formations, les passerelles vers le secteur privé et l’exigence d’un engagement réel de la part des bénéficiaires.
Exiger un effort pour préserver la solidarité
Conditionner davantage l’aide sociale suscite parfois des crispations. Pourtant, exiger un effort n’est ni stigmatisant ni injuste. Apprendre une langue nationale, suivre une formation, se préparer à un métier, s’inscrire dans un parcours d’insertion doivent devenir la norme. L’aide sociale n’a de sens que si elle s’inscrit dans un projet d’émancipation.
Il ne s’agit pas de punir, mais de responsabiliser, dans l’intérêt même des bénéficiaires et de la collectivité.
Une réforme à accompagner avec lucidité et ambition
La suppression du chômage illimité dans le temps n’est pas une fin en soi. C’est un levier pour réorienter notre modèle social vers ce qu’il doit être : solidaire, mais exigeant. Protecteur, mais responsabilisant.
Les CPAS sont une partie essentielle de la solution, à condition qu’on leur redonne pleinement leur mission première : aider chacun à se relever, à se former, à travailler et à retrouver son autonomie.
C’est à ce prix que l’aide sociale retrouvera son sens. Et c’est ainsi que la solidarité pourra rester durable dans une société confrontée à des défis économiques, sociaux et budgétaires sans précédent.
Quentin Van den Eynde, avocat au barreau de Bruxelles et conseiller CPAS (MR) à Woluwe-Saint-Pierre
(Photo Belgaimage)