Vous avez vu, cette semaine, deux élus ont fait l’actualité politique ? L’un pour rejoindre le PS au parlement régional bruxellois, l’autre, pour annoncer quitter le groupe MR du conseil communal d’Evere. L’un et l’autre ont décidé de conserver leur mandat. En Belgique, le siège est toujours personnel, jamais partisan. En clair : c’est à la personne élue qu’appartient le mandat, pas au parti sur lequel il a été élu. Il peut donc en faire ce qu’il veut.
Un transfuge ou une séparation avec son parti n’est pas rare en politique. En Belgique, c’est même une spécialité. Rien qu’à Bruxelles, depuis les élections régionales de 2024, 5 députés ont ainsi changé d’écurie. En septembre 2025, c’est Ludivine de Magnanville qui a quitté Défi au profit du MR. Deux mois plus tard, c’est l’élue Vlaams Belang Sonja Hoylaerts qui a décidé de siéger comme indépendante. En mars dernier, Soulaimane El Mokadem quittait le navire marxiste du PTB pour siéger comme indépendant. (On a finalement appris cette semaine qu’il rejoignait le PS). Enfin, en avril, Fabian Maingain et Latifa Aït-Baala, ont quitté leur parti. Le premier a souhaité rejoindre le projet de son père, la seconde a préféré s’allier au groupe PS.
Ces départs amènent toujours les mêmes commentaires. Le parti lésé d’un siège se dit « étonné » et « trahi ». L’élu transfuge annonce « ne plus être en accord avec la ligne politique de son parti » et « avoir toujours été sensible aux valeurs portées par le parti » qu’il rejoint.
Le scénario est écrit. Et il se répète depuis des dizaines d’années. Oui, mais… il pose de nombreuses questions.
Une question au cas par cas
La première question qui se pose est morale : peut-on garder un siège ou un mandat quand on décide de quitter son parti ? La réponse, pour moi, est toute simple. Tout dépend de la manière dont on a été élu. Si un député « fait son siège », c’est-à-dire qu’il n’a pas profité de la dévolution de votes grâce à sa position dans la liste, on peut estimer que le siège lui appartient effectivement. Soulaimane El Mokadem a obtenu près de 15.000 voix de préférence en juin 2024, un score colossal. Personne ne peut remettre en cause la légitimité de son siège de député. A l’inverse, Latifa Aït-Baala, non élue en 2024, et qui est devenue député grâce à la suppléance, peut-elle vraiment quitter le groupe MR en emportant son siège ? Moralement, la réponse est non. Ce n’est aucunement une attaque personnelle, c’est purement factuel. Sans sa position sur la liste, elle n’aurait jamais été députée. C’est donc clairement du cas par cas.
La deuxième question qui se pose est politique : les transfuges ne sont-ils pas des leviers de pouvoir trop importants pour les élus ? Dans un système parlementaire fragmenté comme celui de Bruxelles, un seul siège peut parfois faire basculer un rapport de force, bloquer une coalition ou en rendre une autre possible. Est-il sain, démocratiquement, qu’un changement d’appartenance individuelle puisse avoir des conséquences collectives aussi lourdes, sans repasser devant l’électeur ?
Et l’électeur, dans tout ça ?
La troisième question qui se pose, sans doute la plus importante : qu’en est-il de l’électeur ? Quand un citoyen vote pour une liste, il vote rarement uniquement pour une personne. Il vote pour un projet, une idéologie, un positionnement. Peut-il se sentir respecté lorsque l’élu qu’il soutient rejoint, en cours de législature, un parti qu’il combat peut-être frontalement ? Le mandat est juridiquement personnel, mais le vote est-il vraiment individuel politiquement ?
Enfin, dernière question, plus inconfortable : comment distinguer l’évolution sincère d’un opportunisme politique ? Changer d’avis n’est pas une faute en démocratie. Mais quand ces changements interviennent systématiquement au moment où un siège devient stratégique, ou quand ils s’accompagnent d’un accès à davantage de pouvoir, la suspicion est inévitable. Et cette suspicion, qu’elle soit fondée ou non, alimente le discrédit général de la politique.
Certains pays ont introduit des mécanismes anti-transfuges, obligeant l’élu à démissionner ou à se représenter devant les électeurs en cas de changement de parti. Faut-il, chez nous, encadrer davantage le phénomène ? La Belgique doit-elle rester fidèle à une conception absolutiste du mandat personnel, ou faut-il réfléchir à des garde-fous ?
Le mercato politique n’est ni nouveau ni illégal. Mais à force de se répéter, il interroge notre rapport à la représentation, à la loyauté et à la parole donnée. La question n’est donc peut-être pas de savoir si un élu a le droit de changer de camp, mais ce que la démocratie y perd – ou y gagne.
Marcela Gori, vice-présidente (MR) du CPAS d’Anderlecht (photo)
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