Éric Muraille, biologiste, Directeur de recherches FRS-FNRS, attaché à l’ULB et Mikael Petitjean, professeur extraordinaire (UCLouvain) et Professeur invité (UGent) estiment que le rôle des autorités académiques est de protéger la communauté universitaire des pressions de nature religieuse ou politique. Or, les recteurs ont choisi de se positionner dans le conflit israélo-palestinien en décrétant un boycott des universités israéliennes.
21News : Vous critiquez la prise de position des recteurs en faveur d’un boycott d’Israël. En quoi cette décision constitue-t-elle, selon vous, une rupture problématique avec les missions fondamentales de l’université ?
Les missions premières de l’universités sont l’enseignement et la recherche. Pour les accomplir, les membres de la communauté universitaire doivent pouvoir jouir pleinement de leur liberté académique, c’est-à-dire de la liberté d’enseigner, de mener des recherches et d’exprimer des idées ou des opinions sans crainte de censure ou de répression. Cette liberté académique est un droit fondamental, garanti par le droit européen et belge. En pratique, c’est aux autorités académiques qu’incombe la lourde responsabilité de protéger la communauté universitaire des pressions de nature religieuse ou politique.
Les recteurs des université belges ont officiellement décidé de prendre position dans le conflit israélo-palestinien en décrétant un boycott des coopérations institutionnelles impliquant des universités israéliennes, ce qui implique notamment l’arrêt des échanges d’étudiants mais aussi des projets Horizon Europe financés par l’UE si ceux-ci impliquent un partenaire israélien. La Commission européenne (CE) a exprimé son refus de pratiquer une discrimination sur base de la nationalité des chercheurs participants aux projets de recherche. Face à ce refus, les recteurs ont créé des commission locales d’experts chargés d’examiner et de bloquer le dépôt de nouveaux projets si ceux-ci impliquent des partenaires israéliens.
Les recteurs se sont également exprimés collectivement dans la presse en faveur d’une révision de l’Accord d’association entre l’UE et Israël. Notons que cet accord, s’il concerne la politique scientifique, dépasse très largement le cadre académique puisqu’il encadre l’ensemble des relations politiques, économiques et culturelles entre l’UE et Israël. Rappelons qu’Israël est un partenaire stratégique pour l’Europe en matière d’énergie, de haute technologie et de R&D. Maintenir un partenariat actif avec Israël permet aussi à l’UE de rester un acteur diplomatique au Proche-Orient.
Il nous semble évident que les recteurs n’ont pas été élus pour exercer, au nom de l’ensemble de la communauté universitaire belge, des pressions sur la politique internationale de l’Europe. Pas plus qu’ils n’ont été élus pour entraver le travail des chercheurs belges en bloquant des partenariats de recherche. Cette politique liberticide affecte des projets scientifiques d’excellence menés au sein des universités belges. En absence de financement par l’UE, le salaire de plusieurs jeunes chercheurs pourrait ne plus être assuré. C’est une violation claire de la liberté académique des chercheurs, qui inclut la liberté de choisir avec qui ils collaborent.
21News : Vous évoquez le risque que cette politisation limite la liberté académique. Avez-vous des exemples concrets — en Belgique ou ailleurs — où une prise de position institutionnelle a conduit à une forme d’autocensure ou d’exclusion de certains points de vue ?
Il est difficile de documenter l’autocensure au sein d’une communauté. Mais lorsqu’une institution prend officiellement position sur une problématique sociétale, cela exerce inévitablement une pression importante sur ceux qui ne partagent pas cette position. Concrètement, plusieurs collègues nous ont déjà fait part du fait qu’ils avaient été pénalisés par la suppression de projets avec des universités en Israël et qu’ils évitaient d’aborder ouvertement la question du conflit israélo-palestinien dans l’université ; d’autant plus qu’une ligne officielle est désormais dictée par les autorités rectorales.
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