Calmons d’emblée le jeu. Le dernier baromètre RTL-TVI/HLN fait beaucoup parler, comme toujours. Il faut rappeler une évidence que certains semblent redécouvrir à chaque enquête d’opinion : ce n’est qu’un sondage, réalisé à plus de quatre ans des prochaines élections et dont l’échantillon n’est souvent que très peu représentatif tant dans le nombre que dans sa composition qui reflète souvent peu le tissu électoral réel. L’histoire politique récente l’a montré à maintes reprises : les sondages se sont parfois spectaculairement trompés à l’approche du scrutin. S’y accrocher comme à une vérité gravée dans le marbre serait une erreur.
Pour autant, l’erreur inverse consisterait à balayer ces chiffres d’un revers de main. Un baromètre n’annonce pas un verdict, mais il envoie des signaux. Et ceux-ci méritent d’être entendus — sans affolement, mais sans arrogance non plus.
Les sondages sont un peu aux vraies élections ce que les matches amicaux sont à une Coupe du monde de football : leurs résultats comptent en théorie « pour du beurre », mais on a rarement vu une équipe soulever un trophée après avoir raté toutes les rencontres amicales et préparatoires… Bref, il faut y regarder de près en trouvant les indicateurs pertinents.
Première leçon : rien d’alarmant pour la majorité
Le gouvernement Arizona est en place depuis moins d’un an. Il a entamé son mandat par ce que tout exécutif sérieux doit faire tôt ou tard : des réformes difficiles, parfois impopulaires, rarement “sexy” électoralement. Les bonnes nouvelles — baisses d’impôts, effets positifs sur le pouvoir d’achat, fruits concrets des réformes — viendront plus tard, on l’espère. Il est donc logique que l’opinion ne s’emballe pas encore. Gouverner, ce n’est pas distribuer des sondages favorables à six mois d’intervalle. Néanmoins, ce sondage tombe mal pour le MR et les Engagés, en pleine « scène de ménage » sur la future majorité bruxelloise. De mauvais sondages peuvent donner du vent dans les voiles de la discorde entre les deux partis.
Deuxième leçon : le problème n’est pas tant la ligne que l’incarnation
Du côté du MR comme des Engagés, une impression persiste : celle d’un gouvernement dont on voit surtout les chefs, beaucoup moins les ministres. Côté libéral, des figures pourtant stratégiques, notamment Anne-Catherine Dalcq ou Cécile Neven (mais elles ne sont pas les seules) restent largement sous les radars médiatiques alors qu’elles devraient beaucoup plus s’exposer. Certains députés étant parfois bien plus médiatisés que certaines figures gouvernementales. Idem, chez Les Engagés, on entend assez peu parler de certains ministres centristes qui sont trop peu identifiés par le grand public, malgré des portefeuilles clés. Cela laisse aussi un espace à l’opposition. Or, à long terme, une majorité ne se renforce pas seulement par des décisions, mais par des visages, des relais, une équipe visible. Un gouvernement ne peut pas être perçu comme une addition de présidences de parti.
Troisième leçon : Georges-Louis Bouchez ne peut pas — et ne doit pas — être partout
Le président du MR occupe l’espace, parfois jusqu’à la saturation. Cela a été une force en phase de conquête et de reconstruction. Mais dans une logique de pouvoir durable, il est peut-être temps de faire davantage monter sa garde rapprochée, de laisser d’autres voix en adéquation avec son message porter le projet libéral. Cela donnerait un regain à sa formation politique qui est celle qui baisse le plus.
Quatrième leçon: L’opposition de gauche se porte bien surtout celle du PS et du PTB qui font des scores en forte hausse depuis les élections. Ils peuvent capitaliser sur les déçus des réformes. Le PS pourtant en pleine refondation doctrinaire arrive à revenir à des scores très importants sans avoir à tellement changer son message en profondeur. Cela redonnera du poids à Paul Magnette parfois plus contesté en interne que cela n’apparaît publiquement. Enfin, le PTB cartonne et devient le premier parti à Bruxelles, preuve que le ras-le-bol général qui monte dans la population bruxelloise profite surtout à ce parti.
Enfin, dernière leçon — la plus importante : le temps politique joue pour la majorité
À quatre ans des élections, les lignes peuvent encore bouger profondément. Les électeurs jugeront sur pièces, pas sur des intentions. Sur la capacité réelle à redresser les finances, à relancer l’économie, à rendre du pouvoir d’achat et à restaurer l’autorité de l’État. C’est là que se fera la différence, pas dans un baromètre hivernal. Les sondages ne font pas les élections. Mais ils rappellent, utilement, que gouverner, c’est aussi savoir raconter une action collective, faire émerger des figures, et préparer dès aujourd’hui les équilibres politiques de demain.
Demetrio Scagliola
(BELGA PHOTO THIERRY ROGE)