Une ligne de fracture apparaît au sein de la majorité sur le sort des demandeurs d’emploi reconnus « non mobilisables », c’est-à-dire inaptes au travail pour des raisons psycho-médico-sociales. En toile de fond: la réforme du chômage et le risque, dès le 1er janvier, de voir plusieurs milliers de personnes perdre toute allocation sans solution claire de remplacement.
Le CD&V tire la sonnette d’alarme. La ministre flamande Hilde Crevits et la députée Nahima Lanjri réclament la mise en place, au niveau fédéral, d’un statut spécifique assorti d’un revenu de remplacement pour les personnes reconnues durablement non mobilisables. Selon leurs estimations, plus de 10.000 personnes seraient concernées en Flandre, un peu plus d’un millier en Wallonie et quelque 400 à Bruxelles.
Ni malades ni aptes à travailler
Pour Nahima Lanjri, le problème est structurel: ces personnes ne sont ni réellement aptes à l’emploi, ni reconnues comme malades ou handicapées au sens strict. Les renvoyer vers les CPAS reviendrait, selon elle, à les faire sortir des radars, sans accompagnement ni perspective. « Sans intervention ciblée, elles ne seront ni activées, ni réorientées vers un emploi adapté, ni même vers une autre forme d’utilité sociale », avertit-elle.
Le CD&V plaide dès lors pour une évaluation individuelle et une orientation au cas par cas. Certaines personnes pourraient basculer vers une allocation de maladie ou d’invalidité. D’autres, avec un accompagnement renforcé, pourraient encore accéder à un emploi à temps partiel ou adapté. Hilde Crevits insiste: ces profils ne relèvent plus du chômage classique et doivent bénéficier d’un cadre distinct, mieux ajusté à leur réalité.
La riposte de Vooruit: « une solution est déjà en cours »
Cette sortie médiatique passe mal chez Vooruit, dont les ministres Rob Beenders (Personnes handicapées) et Frank Vandenbroucke (Affaires sociales) sont directement concernés par le dossier.
Vooruit reproche au CD&V de donner l’impression que rien n’a été fait. La députée Anja Vanrobaeys rappelle qu’une proposition de loi a été déposée début décembre pour protéger précisément les demandeurs d’emploi non mobilisables, et invite les partenaires de la majorité à la soutenir plutôt que de multiplier les déclarations publiques.
Selon Vooruit, une première réponse concrète existe déjà: environ 3.000 personnes pourront bénéficier d’une allocation de sauvegarde. Par ailleurs, dans le cadre de leurs compétences respectives, les ministres Beenders et Vandenbroucke entendent renforcer l’accès aux allocations de handicap ou de maladie pour celles et ceux qui y ont droit.
Un nœud politique et institutionnel
Derrière cet échange tendu se cache un problème plus large: le chevauchement des compétences entre chômage, sécurité sociale, handicap et aide sociale. Tous les partis s’accordent sur la vulnérabilité du public concerné. Mais ils divergent sur la méthode, le calendrier et surtout sur la responsabilité politique à assumer la solution.
À quelques semaines d’échéances sensibles, le dossier met en lumière une zone grise de l’État social belge: des personnes trop fragiles pour le marché du travail, mais pas suffisamment reconnues pour entrer pleinement dans les régimes de protection existants. Un angle mort que la majorité devra combler rapidement, sous peine de voir plusieurs milliers de personnes basculer dans une précarité durable.
La rédaction
(BELGA PHOTO ERIC LALMAND)