Quelle surprise de lire ce week-end la déclaration du président du PS, Paul Magnette, affirmant que « même si le PS revenait au pouvoir, il serait impossible de revenir sur la fin des allocations à vie ». Une phrase qui interpelle, d’autant plus qu’elle émane du principal responsable d’un parti historiquement attaché à ce modèle.
Au-delà de la personne, cette prise de position révèle une réalité plus profonde : certaines politiques défendues de longue date par la gauche belge francophone ont atteint un point de non-retour. Leur remise en question est devenue politiquement et idéologiquement difficile, voire impossible.
Ce constat dépasse le seul débat sur les allocations. Il illustre une trajectoire plus large, marquée par des choix structurants pris sans réel débat contradictoire, et par une tendance à disqualifier les critiques plutôt qu’à les intégrer.
Trois thématiques permettent d’en mesurer l’ampleur et les conséquences actuelles : la sortie du nucléaire, la gestion de l’immigration et la conception d’une solidarité fondée sur des allocations à durée illimitée.
La sortie du nucléaire : des promesses irréalistes aux coûts élevés
La loi de 2003 sur la sortie du nucléaire, portée notamment sous l’influence d’Ecolo et soutenue par la gauche francophone, reposait sur une conviction largement partagée : les énergies renouvelables allaient progressivement compenser la production nucléaire, abondante et stable.
Or, cette promesse s’est révélée largement excessive. Les énergies renouvelables, par nature intermittentes et non pilotables, ne peuvent assurer seules la continuité de l’approvisionnement électrique. En pratique, leur développement a nécessité un recours massif à des centrales au gaz, énergie fossile fortement émettrice de CO₂.
Cette combinaison a conduit à un paradoxe : au nom de l’écologie, la Belgique a accru sa dépendance à une source d’énergie polluante, tout en renonçant à une production nucléaire décarbonée. La nécessité d’importer du gaz expose le pays aux fluctuations des prix internationaux et aux tensions géopolitiques.
Par ailleurs, le déploiement du renouvelable repose sur des mécanismes de subventions importantes, financées par les ménages et les entreprises, contribuant à une hausse durable des coûts de l’électricité. À l’époque, les critiques de cette stratégie — sur l’intermittence, les coûts ou la complémentarité nécessaire avec le nucléaire — ont souvent été disqualifiées, accusées de défendre des intérêts privés ou de minimiser l’enjeu climatique, limitant ainsi un débat serein et informé.
L’immigration : un débat rendu difficile par la disqualification
La question migratoire est un autre exemple de débat complexe, abordé de manière souvent univoque par la gauche belge francophone. Présentée avant tout sous un angle moral, elle a longtemps échappé à une analyse complète de ses effets sociaux, économiques et territoriaux, notamment à Bruxelles et dans certaines villes wallonnes.
Les difficultés — pression sur le logement social, saturation de certains services publics, enjeux d’intégration — sont largement documentées. Pourtant, ces réalités ont longtemps été minimisées, et ceux qui tentaient de les mettre en avant se heurtaient à une forte disqualification morale.
Pire encore, certains critiques ont été menacés de poursuites judiciaires pour avoir exprimé leur point de vue. Cette criminalisation implicite ou explicite de la parole a restreint l’espace du débat public et empêché une analyse sereine des politiques migratoires, fragilisant la confiance dans la capacité collective à traiter le sujet avec lucidité.
Les allocations à vie : une solidarité difficile à réinterroger
La Belgique se distingue par un système de chômage sans limitation de durée, historiquement défendu par la gauche comme une garantie essentielle de protection sociale. Ce modèle, conçu à l’origine comme un filet de sécurité, fait aujourd’hui l’objet de débats croissants sur ses effets à long terme.
En Wallonie et à Bruxelles, les taux élevés de chômage de longue durée interrogent l’efficacité de ce dispositif en matière de retour à l’emploi et d’émancipation sociale. Plusieurs études soulignent le risque d’une dépendance durable aux allocations, sans amélioration significative de l’insertion professionnelle.
Pourtant, toute tentative de réforme ou de limitation a longtemps été assimilée à une remise en cause idéologique de la solidarité, voire à un positionnement politique radical. Les critiques étaient facilement qualifiées d’extrémistes de droite, ce qui a empêché une réflexion approfondie sur l’équilibre entre protection sociale, incitation au travail et soutenabilité du système.
Que faire ?
Sur le nucléaire, l’immigration et les allocations à vie, la gauche belge francophone a pris des décisions structurantes dont les limites apparaissent aujourd’hui clairement. Ces orientations n’ont pas seulement été difficiles à corriger : elles ont souvent été protégées par une fermeture du débat et une disqualification des critiques.
L’enjeu n’est pas de nier l’importance de l’écologie, de la solidarité ou de l’humanisme, mais de reconnaître que ces principes ne peuvent produire des résultats durables sans confrontation aux faits et sans capacité d’adaptation. Le constat dressé aujourd’hui invite moins à la polémique qu’à une réouverture sereine du débat public, condition nécessaire pour éviter que des erreurs passées ne deviennent des impasses durables.
Sébastien De Vreese, citoyen – Contribution externe
(BELGA PHOTO ERIC LALMAND)