Brigitte Bardot et Alain Delon appartiennent à cette catégorie rarissime des « monstres sacrés ». Des figures qui dépassent leur art, leur époque et même leur pays. A l’exception d’Edith Piaf en son temps et, bien sûr, de Charles de Gaulle, peu de Français ont atteint un tel niveau de notoriété mondiale.
Ces deux ambassadeurs majeurs de la culture française se sont éteints à un an et demi d’intervalle, Alain Delon étant décédé le 18 août 2024. Leur disparition aurait pu donner lieu à un hommage unanime, centré sur ce qu’ils ont offert à la France : un rayonnement culturel inégalé, une image, un style, une mythologie.
Mais c’était sans compter sur la tentation, bien française, de faire le procès idéologique des morts.
La presse dite de droite a salué leur génie, leur contribution à l’Age d’or du cinéma français, leur rôle d’icônes internationales. Une partie de la presse de gauche, elle, n’a pas résisté à l’envie de solder des comptes politiques.
Concernant Alain Delon, certains ont rappelé son amitié passée avec Jean-Marie Le Pen, en passant sous silence un fait pourtant essentiel : Delon s’en était éloigné depuis longtemps et avait soutenu Jacques Chirac à deux reprises à l’élection présidentielle, en 1995 et surtout en 2002, lors du second tour contre Jean-Marie Le Pen. Un détail qui semble embarrassant pour ceux qui préfèrent les récits simplistes.
Pour Brigitte Bardot, la mécanique est désormais bien huilée. Le Monde titre sur ses « trente ans de sympathie pour l’extrême droite ». TV5 Monde, cofinancée par le contribuable belge, évoque une « longue proximité avec l’extrême droite », images de vote à l’appui. France 24 parle d’un glissement « de la cause animale à l’extrême droite », suggérant une continuité idéologique douteuse, au prix de raccourcis historiques pour le moins hasardeux, volontaires ou pas.
Certes, tous ne tombent pas dans le panneau : Dans Libération, Thomas Legrand, échaudé sans doute par ses démêlés avec la Commission parlementaire consacrée à l’affaire Rachida Dati, salue le « monument d’une France disparue ».
Mais au niveau de la tonalité générale, ce qui frappe, au fond, c’est la constance du deux poids deux mesures. Lorsqu’un artiste est de gauche, son positionnement devient un « engagement ». Lorsqu’il est de droite, il se transforme en faute morale, en tare, en soupçon définitif.
Cette logique n’épargne personne et fonctionne du vivant des artistes. Florent Pagny, installé en Argentine, l’a encore expérimenté récemment sur le plateau de Quotidien, face à Yann Barthès. Pour avoir défendu le bilan économique de Javier Milei, il a suscité stupeur et malaise. L’entre-soi progressiste supporte mal la contradiction.
A l’inverse, Alain Souchon peut affirmer sans difficulté que « Les Français ne sont pas assez cons pour faire élire le RN », sans que cela ne choque outre mesure.
Le message est limpide : vivants ou morts, les artistes ne peuvent s’engager qu’à gauche. A droite, il ne s’agit plus d’opinion mais de transgression.
Delon et Bardot, comme l’icône Clint Eastwood aux Etats-Unis qui soutient les Républicains, rappellent pourtant une évidence que le monde culturel peine à admettre : le génie artistique n’obéit à aucune orthodoxie politique.
Nicolas de Pape
(Credit Image: © Keystone Press Agency/ZUMA Press Wire)