Avocat chez Littler, Herman Craeninckx – de par ses activités au club « The Merode » ou à Beci, la chambre de commerce bruxelloise –, est un point de contact privilégié à l’intersection du monde des affaires et de la politique. Il estime notamment qu’en matière de formation du gouvernement bruxellois, les attitudes stigmatisantes entretenues par les deux parties à l’égard de l’adversaire politique ne peuvent que mener à la stagnation. « Le citoyen mérite mieux », soutient-il, « et, si le MR a gagné les élections, les libéraux francophones doivent parvenir à composer avec des sensibilités socialistes qui représentent également une part significative de la population ».
21News : Que pensez-vous de l’attitude du MR qui, voici une semaine, présente une nouvelle « feuille de route » pour Bruxelles et se plaint de ne pas avoir reçu de réaction de la part du PS ?
Herman Craeninckx : Je crois qu’il ne faut surtout pas stigmatiser. Lorsque l’on travaille pour rendre public un document de cet ordre, il convient de dire : « Voilà un document de travail dont on va discuter », pas imposer quoi que ce soit. Il me semble beaucoup plus important de créer des ponts que de rester sur des positions figées. C’est en créant des ponts que l’on va y arriver. Les partis dits « démocratiques » doivent se rendre compte que ce qui va dans l’intérêt du citoyen – et, plus largement, du pays –, dans un monde globalisé, doit prendre la priorité sur les querelles partisanes. Nos politiciens gagneraient à se faire conseiller par des personnes du monde économique et social et qui ont cette distance nécessaire.
Ce que le citoyen attend, c’est un message d’espoir, un projet d’avenir. On pense souvent qu’en diabolisant l’adversaire, cela va changer la donne, mais dans la pratique, cela n’apporte aucun résultat. Les derniers sondages montrent d’ailleurs que les intentions de vote n’ont guère évolué, malgré les diatribes et les effets d’annonce des uns et des autres, qui tournent d’ailleurs souvent même en conflits « personnels », marqués par des déclarations parfois contradictoires. Les protagonistes devraient veiller à ne pas tomber dans un certain opportunisme.
21News : Vous êtes expert notamment en droit du travail. Que pensez-vous que devraient constituer les priorités du gouvernement en la matière ?
H.C. : La volonté du gouvernement fédéral, et je pense la volonté de tout le monde, est de mettre le maximum de personnes au travail. On désire, à l’horizon 2029, mettre 80% de la population active au travail. C’est un objectif que je trouve sain. Maintenant, comment mettre cela en application ? On parle de flexibilité, et je ne peux qu’approuver l’idée. Mais j’ai une première observation : le monde politique a des idées, des opinions, mais il subsiste une interaction insuffisante entre le monde économique, qui a l’expérience du terrain, et la sphère politique, qui doit défendre une idéologie.
Assouplir les règles de licenciement
21News : Deux réformes vous semblent importantes pour flexibiliser davantage le monde du travail…
H.C. : Oui. Prenons premièrement le cas des travailleurs protégés. Depuis la loi de 1991, si l’on désire licencier l’un d’entre eux, l’indemnité peut monter jusqu’à 8 ans de rémunération – quatre ans basés sur l’ancienneté, et quatre ans basés sur la durée du mandat, avec un minimum absolu de deux ans-et-demi. Le vrai débat, pour les travailleurs protégés, consiste en le fait que depuis 1991, on ne peut plus licencier cette catégorie de travailleurs, sauf pour faute grave, ou sauf en cas de fermeture d’une entreprise ou d’une division. Et c’est cela qui est frustrant pour l’employeur : lorsque l’on a un « protégé » dont on se souhaite se séparer pour des raisons techniques ou économiques, on ne peut pas le licencier sans l’accord du syndicat.
Le vrai débat devrait être de revenir à la situation telle qu’elle prévalait avant la loi de 1991 ; en l’espèce, que s’il y a des justes motifs, on doit pouvoir licencier comme tout travailleur, même protégé. Si l’employé n’est pas d’accord, il peut toujours contester son licenciement au tribunal.
Si l’on veut s’attaquer à la réglementation des travailleurs protégés, ce n’est pas tellement une priorité de raboter le montant des indemnités, mais de donner une flexibilité normale aux entreprises de licencier un travailleur protégé. Avec la législation actuelle, si l’on ne trouve pas de faute grave – faute grave, qui, rappelons-le, constitue l’exception –, on ne peut pas licencier. Si l’on décide juste de diminuer les indemnités de licenciement des « protégés », on évite, je pense, le vrai problème qui est que l’on doit pouvoir se séparer d’un travailleur qui dysfonctionne, peu importe sa qualité de « protégé » ou non. Je pense que la question qui doit motiver le processus doit être, simplement : « y a-t-il une raison de licencier ? », nonobstant la qualification de « protégé » du travailleur.
Un second point consiste à limiter l’indemnité de rupture à un an. Depuis 2014, les indemnités de rupture sont limitées, dans la mesure où elles ne dépassent plus un mois ou trois semaines par année d’ancienneté. Ce que l’on voit, c’est que l’on assiste à une augmentation nette des procès marqués par des accusations de licenciement déraisonnable, discriminatoire, ou abusif. Je pense qu’il ne faut pas nécessairement diminuer les indemnités de rupture ; elle sont somme toute raisonnables depuis 2014.
Si l’on veut vraiment contribuer à créer une nouvelle dynamique dans le droit social, il faut avant tout arrêter de vouloir réguler tout jusqu’au moindre détail au niveau national, ou au niveau des conventions collectives au sein du Conseil national du travail. Si l’on veut arriver à cette flexibilité, on doit arriver à privilégier un droit social qui sanctionne les abus et la mauvaise foi. Pour le reste, il faut laisser le plus d’initiative aux entreprises, qui sont les premières concernées.
« Il faut arrêter de diaboliser les entreprises qui auraient soi-disant de mauvaises intentions. »
Il faut commencer, je pense, par une législation cadre. Pour le reste, l’initiative doit revenir aux secteurs et aux entreprises concernés. Par ailleurs, en ce qui concerne les évolutions du monde du commerce en termes de flexibilité, par exemple, que ce soit le travail de nuit ou les ouvertures 7/7, il doit revenir aux travailleurs et aux entreprises de l’accepter sur base de volonté réciproque. Il y a beaucoup de personnes qui ont envie de travailler au-delà des limites actuelles. La flexibilité devrait être en ce sens assez large. On doit moins réguler, et se contenter d’éviter les abus et, au-delà de ce constat, de faire confiance aux travailleurs.
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